Après avoir évoqué cette question une première fois lors de son audition au Congrès le 22 mai, Ben Bernanke, le président de la Réserve Fédérale (Fed), a utilisé la conférence de presse faisant suite à la réunion du comité de politique monétaire du 19 juin pour aborder le sujet de l’arrêt de sa politique d’achat de titres destinée à soutenir l’activité en faisant baisser les taux longs (Quantitative Easing). La Fed achète ainsi chaque mois 45 Mds USD d’obligations du Trésor et 40 Mds USD d’obligations adossées à des créances hypothécaires depuis décembre dernier. Lors de cette réunion, le comité de politique monétaire (FOMC) a décidé de maintenir pour l’instant ce rythme d’achat. Alors pourquoi une telle réaction des marchés?
Déclarations de la Réserve Fédérale
Situation économique actuelle
Pour ce qui est de l’appréciation de la situation économique actuelle, les membres du comité considèrent que les risques négatifs sur l’activité ont diminué et que la croissance est essentiellement freinée par les augmentations d’impôts du début 2013 et par les coupes automatiques de dépenses depuis mars. La bonne tenue de la croissance malgré ce durcissement fiscal est perçue comme le signe du dynamisme sous-jacent de l’économie américaine. Une fois que les effets du durcissement fiscal s’estomperont, la croissance devrait donc accélérer au dessus de 3,0%. Le comité a ainsi publié des prévisions économiques tablant sur une amélioration progressive de la conjoncture. Sur le plan de l’inflation, la Réserve Fédérale prévoit également un retour vers son niveau cible proche de 2%.
Conséquences sur le Quantitative Easing
Concernant les politiques non- conventionnelles d’achats de titres, Ben Bernanke a insisté sur le fait que les actions de la Fed seraient totalement dépendantes de l’évolution de la situation économique. Cette idée et son corollaire sur l’absence de plan défini a priori ont été répétés plusieurs fois durant la conférence de presse. Néanmoins, sur la base des prévisions centrales de la Fed, Ben Bernanke estime que les achats pourraient être réduits à partir de la fin 2013 pour s’arrêter mi-2014 lorsque le taux de chômage passerait sous les 7,0%.
Normalisation de la politique monétaire
La Réserve Fédérale considère que c’est davantage le stock de titres détenus que les flux d’achats qui pèse sur le niveau des taux d’intérêt et qu’en maintenant ses encours, la Fed continuera à peser sur les taux. Néanmoins, il n’est pour l’instant pas envisagé de céder les titres achetés et la Fed devrait continuer à réinvestir les coupons reçus. Par ailleurs, le président de la Fed a bien insisté sur le fait que le franchissement des seuils évoqués pour le taux de chômage (7,0% ou 6,5%) n’entrainerait pas automatiquement d’action sur les achats et sur les taux directeurs. Le consensus parmi les membres du comité de politique monétaire porte sur une première hausse du taux directeur courant 2015.
L’inflation
Reste la question de l’inflation. Celle-ci a très nettement ralenti et le déflateur des prix de la consommation hors alimentation et énergie est à son plus bas niveau depuis le début des années 1960. La Fed voit plusieurs facteurs ponctuels derrière ce mouvement et estime que les prix devraient s’accélérer dans les mois à venir.
Conclusion
Pour résumer, la Réserve Fédérale est confiante quant à l’amélioration de la conjoncture et elle estime pouvoir commencer à envisager une normalisation de sa politique monétaire. Pour autant, elle se réserve la possibilité de maintenir le rythme actuel d’achat si la réalité est en deçà de ses prévisions tant sur la croissance que sur l’inflation. Ben Bernanke a bien insisté sur le caractère non-automatique de ses annonces et sur le fait que la Réserve Fédérale aurait une vision globale de l’économie américaine et du marché du travail en particulier. Or, si les créations d’emplois se maintiennent à un bon niveau et le taux de chômage baisse progressivement, d’autres statistiques restent décevantes. Au premier rang desquelles les salaires. En effet, malgré la baisse du taux de chômage, ceux-ci ont ralenti depuis le début de l’année et leur progression annualisée sur six mois n’est que de 2,0%. Ceci reste supérieur au rythme de 1,0% atteint durant l’été 2012 mais est très inférieur au rythme moyen d’avant la crise. En l’absence de pressions salariales, l’inflation risque de continuer à ralentir, ce que la Fed veut éviter. Par ailleurs, les prévisions de croissance de la Fed pour 2014 et 2015 sont optimistes et tablent sur une accélération de la croissance au dessus de 3,0%. Si celle-ci ne venait pas à se manifester, la Réserve Fédérale pourrait poursuivre son programme d’achat.
Conséquences sur les marchés
Conséquences sur les taux longs
Aux dires du FOMC, les taux directeurs de la Fed ne devraient pas remonter avant la mi-2015, ce qui va dans un premier temps limiter le potentiel de remontée des taux longs. Les anticipations de taux se sont déjà bien redressées: le niveau attendu dans cinq ans du taux sur les obligations du Trésor à cinq ans est ainsi passé de 2,8% à 3,7% depuis début mai.
Si la conjoncture s’améliore dans les mois à venir, le mouvement devrait se poursuivre même s’il devrait rester limité et moins rapide que durant les deux derniers mois. D’ici la fin d’année, une progression d’encore cinquante points de base pour les rendements à dix ans nous semble probable. Par sympathie, les taux longs devraient également progresser en Europe.
Impact sur le secteur immobilier aux Etats-Unis
Nous ne pensons pas que la remontée des taux américains soit de nature à enrayer la reprise du secteur immobilier aux Etats-Unis. Malgré le rebond récent des prix, l’immobilier américain reste historiquement bon marché (voir graphes ci-dessous). Et le marché semble rester très dynamique malgré la remontée des taux: l’indice NAHB de confiance des constructeurs de maisons est ainsi revenu en juin au dessus de sa zone de neutralité pour la première fois depuis 2006 malgré des taux hypothécaires en hausse de 3,4% à plus de 4,0%. L’expérience montre que l’évolution des taux a davantage d’impact sur l’activité de refinancement des prêts hypothécaires que sur les achats immobiliers proprement dits.
Une baisse excessive des marchés actions
Les marchés actions ont fortement baissé dans la foulée des annonces de la Réserve Fédérale. Pourtant le soutien monétaire ne sera réduit que si la conjoncture s’améliore, ce qui viendra soutenir les prévisions de résultats, d’autant que les valorisations restent raisonnables: l’indice S&P 500 se paie actuellement quinze fois les résultats 2013.
Les marchés actions européens ont brutalement corrigé sur les dernières semaines, avec une perte de près de 11% par rapport aux plus-hauts du 22 mai alors même que les indicateurs économiques se redressent: le PMI composite européen atteint son plus haut niveau depuis mars 2012 et l’amélioration concerne tout autant les pays périphériques que le coeur de la zone euro. De plus, une des conséquences de la fin du Quantitative Easing aux Etats-Unis sera de faire progresser le dollar contre l’euro, ce qui devrait aider les actions européennes. Concernant les pays périphériques, les spreads ont effectivement progressé mais restent sur des niveaux bas par rapport aux deux dernières années. Ces dernières semaines montrent clairement que les marchés de la zone euro restent fragiles mais le scénario d’amélioration progressive de la conjoncture, en l’absence de mauvaise surprise, devrait contenir les mouvements de corrections possibles sur les marchés actions.
Conclusion
La première réaction des marchés aux annonces de la Réserve Fédérale a été très négative. Nous pensons que dans un deuxième temps, les marchés devraient mieux réagir: la fin du Quantitative Easing sera la conséquence d’une accélération de la croissance au-delà de 3,0% de l’économie américaine. Ces prévisions de la Fed intègrent une fin de l’assouplissement quantitatif. Si ce scénario s’avérait trop optimiste, Ben Bernanke a clairement laissé entendre que la Fed maintiendrait ses achats au rythme actuel. Les inquiétudes sur l’impact de la fin Quantitative Easing sur la croissance nous semblent excessives. Quant aux inquiétudes sur une éventuelle survalorisation des actions causée par le Quantitative Easing, elles nous semblent également exagérées, les multiples de valorisation des actions n’ayant pas atteint des niveaux excessifs ces dernières années.