Commercialisés historiquement aux États-Unis au début des années 90, les Variable Annuities (VAs), produits à la frontière de la finance et de l’assurance, sont arrivés sur le marché européen en 2006. Proposant de nombreux types de garanties (rente à vie, versement de l’épargne maturité, etc) et de multiples optionalités qui correspondent, en théorie, à l’essentiel des besoins des clients (disponibilité des fonds, rentabilité, sécurité), les Variables Annuities ont l’ambition de devenir le nouveau modèle d’épargne en assurance vie: une combinaison avantageuse des fonds en UC et des fonds en euros aux allures de produit structuré, tout en faisant bénéficier aux assurés des avantages fiscaux.
Mais en dépit d’une forte croissance observée dans l’Hexagone, boostée par les trois acteurs principaux que sont AXA, Allianz et AG2R, ces nouveaux produits sont encore abordés avec une certaine prudence par la majorité des professionnels de l’assurance. Comment gérer les multiples risques inhérents à la diversité même des options proposées aux clients? Sur quels supports investir l’épargne du client pour lui assurer rentabilité et sécurité tout en permettant à l’assureur de bénéficier d’une marge de gestion conséquente? De nombreuses questions se posent encore et les pertes engrangées pendant la crise financière n’ont rien arrangé.
La modélisation sur les Variables Annuities constitue en effet un condensé de complexité en ce qui concerne la valorisation de produits hybrides, à la fois financiers et assurantiels: des payoffs (profils de gain) pas toujours déchiffrables, des maturités extrêmement longues, un panel de risques extrêmement diversifié (risque de marché, risque de mortalité, risque de sortie du contrat, risque de régression des fonds, risque de capital, risque de modèle, risque de modification du profil d’investissement, etc). La couverture et l’évaluation de ces produits relèvent de la gageure et nécessitent une expertise duale en pricing de produits dérivés et en actuariat.
Un large éventail de garanties
Les variables Annuities mettent à la disposition des assurés plusieurs garanties: une garantie en cas de vie comme la GMWB (Guarantee Withdrawal Minimum Benefit) ou la GMAB (Guarantee Minimum Accumulator Benefit), l’une des deux étant combinée généralement avec une garantie en cas de décès comme une GMDB (Guarantee Minimum Death Benefit). Pour chaque garantie, une ou deux en général, il est proposé un système de ratchet sur une période p donnée (période de différé pour les GMWB ou la durée du contrat pour les GMAB). Le montant de la garantie est valorisé comme étant le maximum atteint par l’épargne du client durant p et est réévalué à une fréquence définie par l’assureur (annuelle par exemple).
A la fin de la période, s’il avait souscrit à une GMAB, l’assuré touche le montant garanti calculé en tenant compte des chargements effectués chaque année sur l’épargne. S’il avait souscrit une GMWB, il touche un coupon, déterminé à l’avance dans le contrat, représentant un pourcentage de la garantie. Et l’assuré touche ainsi de suite chaque année ce coupon jusqu’à la maturité du contrat (ou à vie si c’est une garantie WB «for life»). Si l’assuré décède entre temps, il touche aussi le montant garanti tel qu’évalué au moment du décès avec le système de ratchet. En dehors du ratchet, les garanties peuvent être aussi en roll-up: la garantie devient alors le maximum entre l’épargne initiale valorisé à un taux de rendement prédéterminé et la valeur de marché de l’épargne.
Une valorisation à l’image de celle de la finance
Contrairement à la pratique en assurance, les payoffs des Variables Annuities sont estimés par des techniques usuelles utilisées pour les produits financiers dérivés. Les versements qui doivent être effectués au client (claims) au delà du niveau de l’épargne peuvent être exprimés comme une somme actualisée, pour chaque pas de temps t, d’options de vente (put) de strike le montant de la garantie, le tout pondéré par la probabilité de vie (mortalité) et la probabilité de ne pas sortir du contrat avant son terme (lapse). Les tables de mortalité sont établies selon les standards usuels en assurance et l’épargne investie est simulée via un modèle classique, de type Black & Scholes, sous la probabilité risque neutre.
Le payoff ne pouvant être estimé par le biais d’une formule fermée en pratique, la somme de puts en question, ci dessus évoquée, est approchée par des méthodes de Monte Carlo. Ce qui soulève une question opérationnelle importante, notamment celle de l’équilibre à trouver entre la précision de la valorisation et les temps de calcul. Les Variables Annuities étant des produits à très longue maturité, les polices ayant de nombreuses caractéristiques propres (âge, durée dans le contrat, sexe, rationalité, etc) et chaque contrat étant évalué indépendamment des autres, la vitesse de la valorisation est un élément déterminant de la bonne implémentation du business lorsque celui ci a atteint un certain niveau de maturité.
Des risques financiers et actuariels
Les Variables Annuities possèdent un éventail de risques assez variés qui peuvent être séparés en deux catégories: les risques actuariels et les risques financiers.
Les risques actuariels recouvrent l’ensemble de risques liés à la police en elle même, à savoir le risque de mortalité, le risque de longévité et le risque de sortie du contrat par l’assuré. Une mauvaise estimation de ces risques peut entraîner une mauvaise évaluation de la garantie et rendre les claims théoriques moins élevées que les claims à verser en pratique au client. De manière générale, couvrir le risque actuariel étant la principale activité des assureurs, ces derniers savent plus ou moins bien juguler les risques de mortalité et de longévité par la mutualisation ou la réassurance. Le risque de lapse reste quant à lui plus pernicieux dans la mesure où estimer la rationalité du client est très difficile et qu’une sous-évaluation des polices qui vont sortir des books peut entraîner des pertes substantielles pour la couverture.
Les risques financiers sur les Variables Annuities demeurent les risques les plus dangereux. Ils sont principalement constitués du risque de taux d’intérêt, du risque de variation des fonds sous-jacents, du risque de volatilité long terme, du risque de convexité, du risque de régression des fonds, du risque de choix des fonds, du risque de coût du capital et du risque de modèle. Pour le risque de taux d’intérêt (rho) et le risque de variation des fonds sous-jacents (delta), il existe une série d’instruments qui permettent de le juguler efficacement, comme les swaps de longue maturité pour les taux et les futures pour les pour les fonds.
Le risque de régression des fonds (risque de base) survient lorsqu’il n’existe pas d’instruments pour couvrir les fonds sous-jacents de part leur nature même, notamment si ce sont des fonds non shortsellables à l’instar des mutuals funds. La méthode usuelle pour y palier est de créer un portefeuille benchmark qui permet de répliquer le comportement des fonds sous-jacents et pour lequel on va acheter des instruments de couverture. La conséquence que cela peut entraîner est un décalage entre les actifs de couverture et la garantie, notamment parce que le portefeuille de réplication diffère du portefeuille de fonds initial qu’on a benchmarké.
Pour le risque de volatilité (vega), peu d’instruments existent pour le couvrir sur d’aussi longues maturités même si certains acteurs s’essayent à des produits comme les variance swaps ou les futures sur volatilité. Le risque de convexité (gamma, rho convexité) quant à lui mesure l’efficacité de la couverture relative à la variation des sous-jacents. Ce risque doit être pris en compte généralement quand on utilise des instruments linéaires, comme les futures, pour couvrir (en delta) des payoffs de garanties qui ne le sont pas. Quant au risque de choix de fonds, il survient quand l’assuré modifie le profil d’investissement de son épargne, cela entraînant des mouvements de volatilité du portefeuille qui peuvent impacter la valorisation.
Le risque de capital est un autre risque majeur. S’il permet de palier à une défaillance grave et un besoin éventuel de fonds dus à la mauvaise valorisation d’un produit, aucun assureur ne souhaite avoir à immobiliser beaucoup trop de capital en sommeil. Les assureurs vont donc redoubler d’innovation, en lien avec les régulateurs, pour estimer de manière raisonnable, pour la pérennité de leur business, les capitaux à adosser à leurs produits. Le risque de modèle, autre élément important dans la valorisation des Variables Annuities, est relatif à la sous-estimation par le modèle financier du coût de la garantie pour effectuer la couverture du produit. Cela peut être du à plusieurs facteurs, comme une mauvaise estimation des paramètres de calibration, la non prise en compte des coûts de transactions ou tout simplement un modèle inconsistant (taux d’intérêt constants, volatilité constante, etc).
Si les Variables Annuities possèdent une multitude de risques divers, ils n’ont heureusement pas tous la même importance et certains peuvent être en général négligés à partir du moment où leur impact potentiel est bien appréhendé par l’assureur. Pour ceux qui demeurent en général, comme le risque de taux, le risque de variation du sous-jacent ou le risque de régression des fonds, en pratique, il n’est pas possible de les couvrir parfaitement. Les assureurs essaient en général de les minimiser au mieux des instruments disponibles sur le marché et des techniques qui ont cours dans la pratique.
Alors, l’avenir de l’assurance?
Malgré le fait que les risques inhérents aux Variables Annuities soient extrêmement dangereux à maîtriser pour les assureurs, ces produits répondent néanmoins à plusieurs besoins concrets identifiés chez les assurés: un besoin de sécurité des fonds allié à un besoin de rentabilité avec en plus, la possibilité de retirer sa mise à tout moment. En France, avec les insuffisances actuelles du système de retraite par répartition, les assurés sont désormais à l’affut de solutions innovantes qui pourront jouer le rôle de retraites complémentaires, notamment en leur versant une rente à vie. Les garanties GLWB (versement de coupon à vie après une période de différé) proposés sur certains produits semblent pouvoir répondre efficacement à ce besoin et sont très sollicitées par les assurés.
Considérer les Variables Annuities comme l’avenir de l’assurance vie sur le plan théorique est, en tout état de cause, parfaitement légitime puisque ces produits recouvrent à première vue, pour l’assuré, les avantages sans les inconvénients des produits d’assurance usuels. Mais une question fondamentale demeure et c’est peut-être la plus importante: les assureurs qui se sont lancés dans ce business pourront-ils un jour maitriser totalement leurs produits au point de les vulgariser au «petit peuple» (le coût d’entrée avec la prime pour les Variables Annuities reste encore très élevé), de les proposer à des tarifs raisonnables en baissant les taux de chargement et d’en faire, pour eux même, des produits profitables sur la durée? C’est un pari qui ne semble pas encore gagné. Et la croissance de ce marché depuis quelques années, sur une période beaucoup trop courte, ne nous dit encore rien en réalité, sur la profitabilité à terme de ces produits.