Après quelques semaines de rumeurs, de démentis et de suspense, il est devenu évident que les autorités européennes sont à nouveau exposées et que la politique de transparence et de coordination qui est indispensable pour résoudre la problématique de solvabilité en Europe fait toujours défaut. En réalité, des facteurs «politiques» semblent avoir provoqué de nouvelles divergences de vue entre plusieurs acteurs importants au cours de ces dernières semaines. Le populisme gagne du terrain au sein de l’électorat de toute l’Europe et les hommes politiques semblent de moins en moins enclins à s’exposer à une «sanction» politique pour le «bien» commun de l’Europe.
À cet égard, il importe de prendre conscience que le problème de solvabilité des pays périphériques de la zone euro est le résultat d’une combinaison de facteurs. Tous ces facteurs ne sont (n’étaient) pas contrôlables par les gouvernements de ces pays. Certains le sont de toute évidence, comme le comportement budgétaire irresponsable de pays comme la Grèce et le Portugal. Toutefois, des erreurs de conception lors de la création de la zone euro (union monétaire sans mécanisme de redistribution budgétaire), la croissance excessive des crédits et les bulles immobilières (qui en ont résulté) ont également joué un rôle majeur.
Dans le cas de l’Espagne et de l’Irlande, ces deux derniers facteurs ont été bien plus importants que la gestion des finances publiques d’avant-crise. Dans le même temps, l’Allemagne et la France n’ont pas montré l’exemple en matière budgétaire. Ces pays n’ont pas respecté les règles de stabilité et de croissance pendant près de la moitié du temps depuis la création de l’euro et ont même réclamé un ajustement des règles lorsque leur non-respect est devenu trop évident.
Les autorités monétaires n’ont, pour leur part, pas souligné la nécessité de différentier les évaluations de solvabilité des emprunteurs souverains de la zone euro. La BCE n’a jamais fait de discrimination en ce qui concerne ses conditions de prêt aux banques offrant des obligations d’État comme collatéraux pour leurs besoins de crédit. Le papier d’État grec était ainsi traité de la même façon que le papier allemand. La BCE n’a pas mis en garde non plus contre les risques que des emprunts excessifs par le secteur public ou privé des pays périphériques entraînaient pour la stabilité financière.
On peut débattre sans fin sur la responsabilité des autorités des pays du noyau dur et des pays périphériques de la zone euro. À certains égards, on peut certainement dire qu’elles auraient dû être plus clairvoyantes. À l’heure actuelle, il est toutefois plus important que les décideurs politiques européens comprennent que reconnaître une responsabilité partagée pour les problèmes a au moins trois grands avantages. Tout d’abord, ceci contribuerait à poser un diagnostic plus exact des origines de la crise. Un tel diagnostic aiderait de toute évidence à trouver les bons remèdes pour guérir la zone euro de sa maladie grave.
Deuxièmement, cela signifierait que la probabilité de trouver une solution impliquant une collaboration entre le noyau dur et les pays périphériques augmenterait. En acceptant une responsabilité partagée pour le problème (plutôt que de faire des suggestions pour résoudre le problème de quelqu’un d’autre), toutes les parties impliquées seraient davantage enclines à mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour atteindre un résultat optimal – notamment parce que ceci entraînerait une plus grande confiance entre le noyau dur et les pays périphériques en ce qui concerne la réalisation de leurs engagements (partage du fardeau financier pour le premier et austérité et réformes pour les seconds).
Troisièmement, le risque de contagion des problèmes de solvabilité d’un pays à l’autre augmentera substantiellement si les marchés sentent que les États membres de la zone euro sont incapables de serrer les rangs. Les conséquences de la faillite de Lehman en 2008 devraient rappeler à tout le monde qu’en raison des répercussions négatives sur le système financier et l’économie réelle, toutes les parties concernées sont susceptibles d’y perdre des plumes. Le fait qu’un tel risque existe incite en soi déjà à chercher à éviter que celui-ci ne se matérialise.
Toutefois, un sentiment de responsabilité partagée abaisse la probabilité que certains pays tentent de profiter de la solution élaborée par d’autres, sans y contribuer. A la suite d’une multiplication des tensions, toutes les autorités européennes pourraient à un certain point prendre conscience qu’elles ont besoin les unes des autres pour atteindre le meilleur résultat possible. Ceci s’est déjà produit à plusieurs reprises ces dernières années — durant la crise du crédit (au niveau mondial) et la crise de la dette souveraine (au niveau européen). Conformément au véritable esprit européen, la responsabilité commune et le partage des charges pourraient finalement s’imposer. Néanmoins, tout le monde doit être conscient que ceci n’est possible que si tous les décideurs politiques européens prennent leurs responsabilités pour leur part individuelle dans un problème commun qui ne peut être résolu que par une collaboration mutuelle.
Aurons-nous le véritable leadership nécessaire pour y arriver? Un leadership prêt à ignorer le prix politique à payer à court terme pour une telle approche? Il n’est certainement pas trop tard pour espérer, mais la probabilité d’une solution crédible à long terme diminue plus rapidement que ce qui semblait probable il y a quelques mois. Le problème sera vraisemblablement mis de côté à une nouvelle reprise, mais il reviendra nous hanter d’ici quelques mois, plutôt que quelques années. Les autorités ont tout intérêt à agir de façon décisive d’ici là ou l’Europe semblera beaucoup plus fragmentée dans un futur pas tellement éloigné.