Durement frappé par la pandémie de Covid 19, le secteur aérien se redresse progressivement avec la perspective d’un retour à la normale du trafic à horizon 2023 voire 2024.
La crise a bien évidemment fragilisé le profil Crédit des compagnies aériennes européennes, avec, qui plus est, un nouveau défi à relever: la décarbonisation du secteur. Explications de Pierre Lejeune, analyste crédit chez Aviva Investors France.
Quelles sont les perspectives de poursuite du redressement du trafic aérien?
Selon les prévisions de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI)[1], le trafic aérien mondial retrouverait entre 69% et 74% de son niveau d’avant crise en 2022, contre 51% en 2021 et 40% en 2020. Eurocontrol[2] prévoit également une poursuite du redressement en 2022. Son scénario médian table sur un retour à 89% du niveau de trafic de 2019 en mars 2022 et un retour à la normale fin 2023, début 2024. Ces prévisions n’intégraient toutefois pas l’impact du variant Omicron qui pèse sur le trafic en ce début d’année.
L’agence de notation Standard & Poor’s vient tout juste de revoir ses estimations à 45%-65% de 2019 vs 60-75% initialement prévu sur 2022 – prévisions qui me semblent toutefois prudentes.
Cette reprise sera-t-elle homogène?
Les populations ont toujours envie de voyager. Tout relâchement de restrictions se traduit d’ailleurs immédiatement par un bond des réservations. Les compagnies aériennes à bas prix rebondissent généralement plus rapidement que les compagnies historiques opérant des vols longs courriers. L’érosion du pouvoir d’achat dans un contexte inflationniste, même temporaire, et le coût élevé des tests pourraient d’ailleurs inciter les passagers visitant leur famille ou des attractions touristiques à rechercher des tarifs plus avantageux, notamment sur les vols touristiques courts courriers. En revanche, les voyages d’affaires connaissent une reprise plus lente, avec un impact différent pour les compagnies aériennes selon la part de la clientèle affaires dans leur marché cible. La demande des entreprises pour les vols longs courriers devrait connaître une baisse structurelle, en raison de la multiplication des réunions virtuelles et des économies de coûts qui en résultent. En revanche, la situation est tout autre pour les activités de fret aérien, développées par certaines compagnies aériennes qui ont vu une envolée du prix du fret depuis la pandémie. Cette tendance s’explique par une forte demande du e-commerce et des congestions mondiales du transport maritime qui favorise celui par les airs.
Quelle est la situation financière des compagnies aériennes européennes qui émettent de la dette?
Même si la situation s’est déjà améliorée, le transport aérien continuera de perdre beaucoup d’argent en 2022. Le montant dépendra bien évidemment du rythme de la reprise du trafic aérien mais aussi de leur capacité à contrôler leurs coûts dans un contexte inflationniste, marqué par la flambée des prix du pétrole. Là encore, le redressement financier ne sera pas homogène. Les compagnies aériennes européennes émettrices de dette ont fait beaucoup d’efforts ces derniers mois avec des annulations de programmes de rachats d’actions, des reports d’investissements ou des émissions de droits. Elles ont aussi émis du capital pour réduire et/ou restructurer leurs dettes. Mais certaines ont encore des prêts et des aides d’Etat à rembourser.
Quelle a été la stratégie des compagnies aériennes européennes en matière de coûts depuis le début de la crise?
Les compagnies low cost ont un avantage par rapport aux compagnies historiques puisque leur structure de coûts est plus flexible. Depuis le déclenchement de la crise, les compagnies aériennes européennes se sont engagées dans une politique de réduction de leurs coûts, avec pour certaines des objectifs ambitieux allant jusqu’à 30%. Le principal poste concerné est le personnel naviguant et au sol. Depuis 2021, ces sociétés doivent toutefois faire face à la flambée des cours du pétrole, et donc du coût du kérozène. La plupart ont mis en place des stratégies de couverture pour amortir l’effet de cette hausse, avec toutefois des taux de couverture très variables d’une compagnie à l’autre.
Comment les notations crédit des compagnies aériennes européennes ont-elles évolué depuis le début de la Pandémie?
Fin 2019, les compagnies aériennes européennes étaient notées «investment grade»[3]. Sans surprise, la tendance a été une dégradation par les agences de notation. Les plus touchées ont été les compagnies historiques, dégradées dans la catégorie «high yield». Certaines notations ont encore aujourd’hui des perspectives «négatives» avec le risque de voir des émetteurs investment grade rejoindre l’univers high yield. Les agences de notation attendent une stabilisation de la demande pour revoir leur position. Il faudra également surveiller comment sera financée la nécessaire expansion des flottes. Ces investissements pourraient venir amoindrir la capacité de certains émetteurs à réduire leurs dettes.
Quels sont les objectifs de décarbonisation du secteur aérien et les moyens pour y parvenir?
Les membres de l’IATA, qui assurent 82% du trafic aérien mondial, ont revu en octobre 2021[4] à la hausse leurs engagements en matière de réduction des émissions de CO². Après s’être déjà engagée à réduire de moitié ses émissions d’ici à 2050 comparé à 2005, l’IATA vise désormais la neutralité carbone en 2050. Par ailleurs, le nouveau Paquet Climat européen, «Fit for 55», prévoit, pour le secteur aérien, la suppression des quotas d’émissions gratuites, la taxation plus forte des émissions fossiles et l’obligation d’utiliser des carburants moins carbonés. La décarbonisation du secteur aérien est donc un énorme défi d’autant que les technologies alternatives de propulsion sont encore embryonnaires. Dans l’immédiat, les compagnies aériennes modernisent leur flotte avec des avions moins consommateurs de fuel comme l’A320neo ou le B737-Max et sont incitées à utiliser de plus en plus de carburants aviation durables (SAF).
L’impact environnemental de ces émetteurs est-il rédhibitoire pour les mandats assurantiels?
Le risque idiosyncratique du secteur est aujourd’hui correctement rémunéré sur le marché du crédit. Néanmoins, les compagnies d’assurance ne peuvent pas investir dans des secteurs qui émettent trop de CO². Cette contrainte peut être levée si les émissions de CO² peuvent être compensées par des titres de sociétés moins émettrices.