Le QE - une décision logique, mais néanmoins Historique:
La décision de Mario Draghi le 22 janvier d’engager la Banque Centrale Européenne dans un programme massif d’achat de dettes souveraines de la zone Euro s’inscrit dans la logique de l’objectif statutaire de la Banque Centrale depuis sa création: maintenir un taux d’inflation "proche de mais inférieur à 2%". Confrontée à la fois à un décrochage manifeste des anticipations d’inflation à moyen terme aux alentours de 1,5%, et au passage en territoire négatif de l’inflation mensuelle constatée sur 1 an au cours des deux derniers mois, elle se devait statutairement d’agir. Les taux directeurs ayant déjà atteint des niveaux voisins de zéro voire négatifs pour certains d’entre eux, seuls des moyens qualifiés de "non conventionnels", à ce stade, pouvaient encore être potentiellement employés. L’arrêt rendu par la Cour Européenne de Justice début Janvier concernant la validité du Programme OMT (jamais concrètement mis en œuvre au demeurant) consolidait par ailleurs le terrain juridique de nouvelles mesures de ce type.
Il n’en demeure pas moins que l’annonce de la mise en place d’un programme d’achat de titres d’Etat, potentiellement illimité en montant, puisque pouvant être étendu au-delà de la première échéance fixée à septembre 2016 si besoin était, au rythme estimé de 44 milliards par mois (60 milliards en incluant les achats non souverains d’ABS et d’obligations sécurisées) et son application dès mars 2015, constitue une décision Historique pour la zone Euro et même pour son prédécesseur de fait, la Zone Mark, depuis plus de trente ans. Le paradigme monétariste dominant au cours des dernières décennies interdisait d’une part toute monétisation de la dette publique, et d’autre part, lors du paroxysme atteint par la crise souveraine en 2012, le principe de Non Mutualisation de la dette des Etats, auquel revient de fait l’achat de dettes publiques par l’Euro-Système, avait été réaffirmé très clairement par l’Allemagne. Le seul élément concédé aux tenants de cette doctrine lors des annonces du 22 janvier 2015 est la limitation théorique du partage des risques au sein de l’Euro-Système à 20% du total des rachats d’actifs, une limitation en pratique tellement peu crédible que les marchés n’en ont tenu aucun compte.
L’efficacité du QE sera évaluée sur les plans techniques mais aussi psychologiques:
Le programme de rachat de dettes souveraines en zone Euro va démarrer alors que le QE de la Fed est arrivé à extinction, pour ce qui concerne les flux, fin octobre 2014. Notre QE intervient donc à un moment et dans une situation très différente de celle des Etats Unis: les taux d’intérêt à long terme dans notre zone sont déjà à des niveaux historiquement bas, tant dans les pays cores que dans les pays périphériques, notre reprise économique est déjà amorcée (avec des disparités fortes entre pays néanmoins) et les excédents de la balance courante de notre zone ont atteint 241 milliards d’Euros à fin novembre 2014 sur 12 mois. Cependant, sous l’effet de l’effondrement des prix de l’énergie, l’inflation constatée est déjà passée en territoire négatif. Par ailleurs, le financement de l’économie en zone euro est majoritairement bancaire, alors qu’il est davantage lié aux marchés aux Etats Unis. S’il est probable que les banques européennes soient enclines à vendre les obligations d’Etat qu’elles détiennent à la BCE, engrangeant ainsi de confortables plus-values, l’inconnue demeure sur l’impact concret des dernières mesures en matière de distribution de crédit, alimentant l’économie réelle. Ce point devra donc être surveillé avec attention dans les prochains mois.
En revanche, les indéniables efforts de la Banque Centrale Européenne pour contribuer à améliorer la situation économique de la zone, aussi loin que les limites de son mandat le lui permettent, constitue a minima un facteur psychologique décisif, d’encouragement et de confort pour tous les agents économiques. Au demeurant, jamais les taux d’emprunt pour financer un projet, pour les entreprises ou pour les ménages, n’ont été aussi bas et surtout, jamais la visibilité sur ces taux n’a été aussi forte. L’un des effets collatéraux du QE est en effet la neutralisation des possibles effets de la remontée des taux US dans le courant de cette année (outre l’effet baissier sur le cours de l’Euro qui aide les entreprises exportatrices).
A court terme, le QE met la pression sur les investisseurs institutionnels et les gestions assurantielles:
Même si les rendements sur l’obligataire souverain et le crédit étaient déjà très bas avant l’officialisation du lancement du QE, la baisse des rendements s’est accélérée encore depuis le 22 janvier, sans même que la modification du paysage politique en Grèce et les négociations en zone Euro afférentes viennent le moins du monde perturber cette tendance. Il faut désormais investir sur des échéances supérieures à 5 ans pour ne pas avoir un rendement négatif sur des obligations de l’Etat Français et supérieures à 6 ans pour l’Etat Allemand, une obligation de l’Etat Espagnol à 10 ans est désormais assortie d’un rendement de 1,40%, sur la base des conditions de marché récentes. Concernant les obligations d’entreprises émises en Euro, l’indice représentatif du gisement Barclays Corporates traduisait au 2 février un rendement courant implicite de 0,93%, toutes notations et maturités confondues.
Dans ces conditions, la problématique de réinvestissement des tombées dans la poche obligataire de portage des mandats assurantiels devient encore plus aigüe. Il en résulte la nécessité d’extraire encore davantage de performance dans le cadre des poches de diversification, les objectifs de rendement comptables, dépendants des besoins de chaque Institution, demeurant inchangés voire même se renforçant pour 2015, ainsi que l’environnement réglementaire Solvabilité-2, très pénalisant pour les classes d’actifs risqués donc contraignant leur taille.
A court terme, la contrepartie des conditions de confort créées pour les agents économiques par la BCE est donc la pression, dans une certaine mesure même "la mise au pied du mur" des investisseurs institutionnels et des gestions assurantielles.
A moyen terme en revanche, "l’échelle pour franchir ce mur" existe bel et bien, tant il est vrai que l’amélioration des conditions économiques globales en zone Euro est conforme à l’intérêt collectif. Cette amélioration que chacun espère se traduira de manière bénéfique dans l’exercice opérationnel du métier de chaque Institution. Elle produira, in fine, une remontée de l’inflation, et/ou en accompagnement ou en anticipation de la fin inexorable du QE, le moment venu, une remontée des taux d’intérêt, desserrant ainsi l’étau qui presse pour l’heure la gestion des réserves financières.