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Les standards des obligations vertes ont sans doute besoin d'être repensés

L’impact discutable d’une émission récente sur le marché des obligations vertes laissent penser que les normes du marché doivent être repensées, selon Charlie Thomas et Rhys Petheram, co-gérants du fonds Jupiter Global Ecology Diversified.

Beaucoup d’enthousiasme entoure la croissance du marché des obligations vertes depuis quelques années. Mais selon nous, un accent trop prononcé mis sur l’augmentation de la taille du marché risque de saper sa philosophie sous-jacente et pourrait finalement brider sa capacité à combler un déficit de financement pour les investissements durables.

A première vue, le marché se porte bien. Le volume des émissions est en hausse et a représenté environ 0,6% du total des émissions l’an dernier selon les chiffres de Bloomberg. Cela reste modeste, mais cela montre un taux de croissance de plus de 90% par rapport à 2015[1]. Le marché nous semble pourtant en retard sur différents fronts.

Les entreprises émettrices sont à la fois trop peu nombreuses et trop peu dispersées, et certains signent montrent que malgré quelques émissions importantes, les entreprises n’ont tout simplement pas suivi la même évolution que certaines institutions financières supranationales. Dans une note publiée en août dernier, Fitch disait que "l’enjeu principal de la gestion de portefeuille est la diversification … étant donné que le nombre d’émetteurs est limité et qu’ils sont concentrés sur certains secteurs […] comme les institutions supra-nationales, les services publics (les utilities) et les collectivités locales, alors que des secteurs comme ceux de l’énergie ou de la banque, qui représentent une grande partie du marché obligataire classique, sont à l’heure actuelle sous-représentés"[2].

Par ailleurs, dans une interview portant sur l’enquête qu’il mène pour le gouvernement suédois pour promouvoir le marché des obligations vertes, Mats Andersson (ex-PDG du fonds de pension AP4) disait que "beaucoup des investissements faits avec des obligations vertes aujourd’hui auraient eu lieu de toute façon"[3]. Selon nous, ces deux problématiques sont non seulement liées, mais elles sont au cœur de l’enjeu auquel est confronté le marché des obligations vertes.

Une problématique d’offre

Pour nous, les racines de ces problématiques sont du côté de l’offre. Dans neuf cas sur dix ces dernières années, nos conversations avec des entreprises émettrices d’obligations vertes ont laissé apparaître que les projets financés par ces green bonds, qu’il s’agisse d’énergie renouvelable, d’infrastructures hydrauliques ou autres, auraient trouvé de toute façon un financement que ces obligations soient estampillées "vertes" ou non. Qui plus est, ces projets avaient déjà été financés: une pratique standard sur le marché des obligations vertes consiste à simplement allouer le produit de l’émission à un projet ou à un ensemble de projets d’une valeur équivalente. L’émission phare de 7,5 milliards d’OAT vertes plus tôt cette année était historique étant donné sa taille et sa maturité, mais aussi parce que les projets qu’elle devait financer étaient pour la plupart déjà en cours.

Et c’est selon nous un inconvénient, parce que même si le refinancement est un classique sur le marché obligataire, les investisseurs en obligations vertes voient souvent en elles un moyen d’obtenir du rendement tout en aidant à accélérer l’investissement dans des projets durables, comme ceux associés au financement de la lutte contre le changement climatique. Si les projets ont déjà été financés, les investisseurs peuvent se demander quel a été - s’il a jamais existé - l’impact de cet investissement et s’il n’aurait pas été plus profitable ailleurs.

Cela peut aussi retenir certaines entreprises potentiellement émettrices qui veulent se protéger d’être accusées de faire du "green washing". Selon nous, plus le marché des obligations vertes sera longtemps associé au financement (ou au refinancement) d’initiatives existantes, moins les entreprises y verront une incitation à développer de nouveaux projets qu’ils pourraient ne pas pouvoir mettre en place autrement. Ce n’est pas étonnant que Toyota, qui semble sur le point d’émettre un quatrième emprunt en obligations vertes, souligne bien qu’il sera utilisé pour financer de nouvelles ventes de voitures électriques en leasing, plutôt qu’au repackaging de contrats de location sur des voitures déjà sur les routes. Le financement de nouveaux projets est connu sous le terme d’additionnalité des obligations vertes.

Un des changements de l’édition 2017 des Green Bond Principles (GBP) a été l’ajout d’un objectif principal pour les GBP qui est "de soutenir les émetteurs dans la transformation de leur business model pour améliorer la durabilité environnementale". Bien que cet objectif soit plutôt vague et ne permette pas de quantifier les ambitions, cela reste néanmoins un ajout bienvenu et un point de référence auquel les GBP et ses membres (nous y compris) peuvent se mesurer. Pour atteindre cet objectif, le marché et ses acteurs doivent aller vers plus d’additionnalité.

Regarder vers l’avenir

Nous pensons qu’il faut trouver un équilibre entre, d’un côté, essayer de développer une place de marché florissante et de l’autre, tenter de décourager et de faire disparaître progressivement les émissions au profit de projets classiques.

Bien que cela soit plus facile à dire qu’à faire, quelques lignes directrices simples peuvent aider. En premier lieu, une plus grande attention donnée à l’additionnalité devrait se traduire - à long terme- par le fait que le refinancement ne puisse plus être considéré comme approprié à une émission d’obligations vertes. Pour les émetteurs, une première étape est de suivre les meilleures pratiques et clarifier de manière transparente et précise la proportion du produit de l’émission dévolu à des initiatives existantes.

Ceci est à mettre en lien avec une seconde proposition que nous faisons aux émetteurs: plutôt que de seulement s’escrimer à satisfaire aux critères des Green Bonds Principles , comme le fait de documenter la manière dont le produit de l’émission est suivi, les entreprises devraient d’abord se concentrer sur une description de leur stratégie globale concernant la durabilité, son alignement avec des objectifs de long terme comme l’objectif signé à Paris de limiter à 2 degrés le réchauffement climatique, et plus important – la manière dont les obligations vertes peuvent contribuer à faire fonctionner cette stratégie. S’attaquer d’abord à la vision d’ensemble pourrait permettre de régler ce que la Commission Européenne qualifiait en juillet dernier de "tensions entre […] les transactions sur les obligations vertes alignées sur les meilleures pratiques du marché en matière de transparence, mais perçues comme n’étant pas à la hauteur de leurs ambitions vertes"[4].

Selon nous, cela devrait contribuer au bon développement du marché en lui permettant de conserver son intégrité, en promouvant les entreprises qui cherchent à financer des stratégies contribuant à relever des défis environnementaux complexes plutôt que de s’y ajouter. Nous trouvons encourageant de voir de grands souscripteurs, comme le Crédit Agricole, fournir aux investisseurs de nouveaux cadres pour leur permettre de faire cette distinction, tester de manière exhaustive l’additionnalité et faire en sorte que les investisseurs renoncent aux questions contestables de la mesure de l’impact. Ceci est une bonne nouvelle pour des investisseurs tels que nous à deux titres. Tout d’abord, cela fait avancer notre réflexion sur les lignes détenues par le fonds Jupiter Global Ecology Diversified que nous co-gèrons depuis son lancement l’an dernier (y compris toutes les obligations, qu’elles soient "vertes" ou non). En second lieu, cela nous donne une bonne raison de penser que les enjeux que nous percevons sur le marché des obligations vertes alors qu’il entre dans une nouvelle phase de sa croissance sont simplement symptomatiques d’une crise de croissance pour un marché ayant un beau potentiel à long terme et qui arrive à maturité.

Charlie Thomas Octobre 2017
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