L’un des principaux secrets d’un bon investissement réside dans la capacité à prendre du recul. Or, s’il fallait caractériser 2020, on pourrait affirmer qu’il s’agit de l’année des données massives, mais faiblement pertinentes. En témoigne l’attention croissante portée aux séries de données concernant la mobilité connectée[1]: elles ont servi de base à l’élaboration de prévisions concernant les diverses formes, V, W ou K que pourrait prendre la reprise économique, formes qui à leur tour influencent les stratégies d’investissement. En réalité, le boom des actifs financiers depuis l’effondrement des marchés en mars dernier, résulte pour l’essentiel de l’effet combiné des mesures de relance monétaires et fiscales prises à l’échelon mondial et dont l’ampleur est extraordinaire. Telle est du moins une partie de l’image que procure la vue d’avion. Mais que voyons-nous encore à cette altitude de 30’000 pieds?
La valorisation rapide des entreprises dont le modèle d’affaires est basé sur les plateformes numériques s’explique par le changement de comportement des consommateurs. Car bien que ce dernier ait été provoqué par la pandémie, il devrait persister.
Ainsi l’ADN de ces entreprises de qualité et en forte croissance leur permettra de résister à l’épreuve du temps. En revanche, les entreprises à forte intensité de main-d’œuvre ou de capitaux resteront vulnérables aux disruptions. Et une éventuelle hausse des taux ne changera rien à cette situation.
Ballade sur l’échelle des risques
Sur les marchés de taux et pour les 11 premiers mois de l’année, les rendements des emprunts d’Etat européens et américains ont chuté et touché de nouveaux planchers. Sur les marchés de taux de l’Union monétaire européenne (UEM), le rendement à 8-9 ans est tombé à 0,32%. Ainsi, les investisseurs qui maintiennent inchangée leur exposition au risque de taux, peuvent profiter de la pente de la courbe pour pratiquer le «roll-down» et tabler sur une performance positive. Ceci peut paraître surprenant dans la mesure où le rendement des emprunts d’Etats de l’UEM se situe à –0,22%. Quoiqu’il en soit, les marchés des taux de l’UE sont aujourd’hui totalement alignés avec celui du Japon qui affiche également un rendement de 0,32%. De l’autre côté de l’Atlantique, le rendement à 7,5 ans en moyenne se situe à 1,21% pour les bons du Trésor.
Plus haut sur l’échelle des risques, les obligations des entreprises européennes de qualité (IG) offrent un rendement de 0,55% à l’horizon 5,25 ans. Ainsi, le programme d’achat ininterrompu d’obligations d’entreprises par la BCE tend à pousser le rendement de ce segment du marché vers le niveau peu attrayant de celui des emprunts d’Etat de l’UEM.Outre Atlantique, les rendements sont un peu plus décents: à 3,18% pour les emprunts d’entreprises IG à sept ans et plus.
Sur le segment du haut rendement, les chiffres sont de 1,51% pour une échéance à 3,5 ans en Europe et de 3,42% aux Etats-Unis. Ces maigres résultats sont imputables à des données historiques concernant les défauts ainsi qu’à l’effet négatif des changements de notation. Dès lors qu’on les exclu, les rendements des indices européen et américain du haut rendement redeviennent intéressants et se situent à respectivement 3,00 et 4,00% environ. Par conséquent, une gestion active capable d’échapper aux cas de défaut de paiement et d’éviter de sélectionner les mauvais titres est parfaitement en mesure de dégager des performances positives. Enfin, pour compléter ce tour d’horizon, ajoutons que les emprunts d’Etats émergents en monnaie locale affichent un rendement de 4,2%, du fait de leur taux de défaut relativement bas.
La solution asiatique
Ce rapide exercice qui a consisté à observer les marchés depuis une certaine hauteur montre que les rendements des marchés obligataires européens et américains ont subi un tel ajustement à la baisse que les investisseurs qui restent focalisés sur ces derniers n’ont guère d’autre alternative que de sombrer dans le désespoir. Pourtant, à l’échelle mondiale, il existe des solutions: les investisseurs devraient à tourner leurs regards en direction de la dette émergente en général, et de l’Asie en particulier.
Les tribulations autour des élections américaines ont capté toute l’attention, si bien que la signature du Partenariat régional économique global (PREG) associant les 10 membres de l’Asean et cinq pays d’Asie-Pacifique le 15 novembre dernier est passée relativement inaperçue. Pourtant ces quinze pays[2] représentent ensemble 30% de la population mondiale et, faut-il le souligner, 30% du PIB de la planète. Cet accord de coopération multilatéral est donc d’une importance quasiment aussi grande que la création de l’Union européenne, et dans une moindre mesure, proche du nouvel accord de libre-échange entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada (AEUMC). Mais le fait est que ni les États-Unis ni l’Inde ne font partie du PREG. Néanmoins, les précisions apportées sur le site de l’UE[3] à propos de ce partenariat historique montrent bien de son étendue et le potentiel de la région qu’il couvre:
«La première conséquence du PREG est le regroupement dans un seul cadre des différents accords de libre-échange conclus par l’ASEAN avec cinq autres pays de la région Asie-Pacifique. Ce partenariat couvre les échanges de marchandises, mais il ne prévoit guère de mesures propres à limiter les barrières non tarifaires. Il exclut la plupart des services ainsi que l’agriculture qui reste un secteur sensible. Autrement dit, son envergure est moindre que celle des accords de libre-échange existants entre l’UE et les pays de cette région. Il ne peut donc en aucune manière être comparé à notre marché unique et ce n’était d’ailleurs pas son objectif.
Pour parvenir à ce partenariat, il aura fallu huit ans, plus de 30 rounds de négociations, de nombreuses réunions ministérielles et trois sommets des dirigeants. Comme l’ont affirmé ces derniers, tout ceci a permis d’aboutir à ‘un méga accord commercial régional sans précédent qui englobe un ensemble d’économies à divers stades de développement’». Il est donc tout à fait clair que le PREG change la donne et ceux qui ont en charge l’allocation des actifs, qu’il s’agisse d’actions ou d’obligations, vont les réorienter vers ce pôle de croissance économique forte.
En conclusion, même si le discours concernant l’absence d’opportunités sur les marchés obligataires gagne du terrain, il est au mieux mal étayé et au pire erroné, car formulé par des commentateurs externes aux marchés de taux. En réalité, il est possible d’y obtenir des performances décentes, à condition toutefois de s’éloigner des schémas d’allocation classiques.
Pour que la composante obligataire d’un portefeuille retrouve ses qualités de robustesse et de rendements attrayants, l’investisseur devrait s’intéresser aux marchés obligataires de l’ensemble de l’Asie, car ils sont multiples, vastes et en plein essor. Dans le courant de cette décennie, La Chine va devenir le numéro 2 mondial des marchés obligataires après les Etats-Unis et les indices s’en ressentent déjà. Il appartient donc aux gérants actifs d’accompagner cette évolution et de se positionner en conséquence.