Face à la double crise du changement climatique et de la destruction de la biodiversité, nous devons immédiatement nous attaquer à ces deux phénomènes. Le changement climatique et la destruction de la nature étant fondamentalement liés, il n’est pas possible de régler l’un sans régler l’autre. Mais piloter la transition climatique est déjà en soi un grand défi, sans parler de s’attaquer aux très nombreuses conséquences des investissements sur les écosystèmes et les espèces. Pour les investisseurs, le problème est de savoir comment prendre des mesures concrètes sans se retrouver dépassés par leur complexité.
Points clés:
- Comment résoudre les problèmes de climat et de biodiversité sans être dépassé par leur complexité
- Privilégier une approche intégrée pourrait conduire à une paralysie d’analyse
- La meilleure méthode: veiller à ce que les mesures prises dans ces deux domaines soient compatibles
Le changement climatique est l’une des principales causes de la perte biodiversité, et la destruction de la nature est l’un des principaux moteurs du changement climatique. L’augmentation des températures modifie les tendances météorologiques, ce qui contribue au risque d’extinction d’une espèce sur six. En outre, les changements d’affectation des terres sont une cause majeure du changement climatique, puisqu’ils représentent entre 13% et 23% des émissions totales de CO2, selon les estimations. À elle seule, la destruction des forêts contribue à environ 4,8 milliards de tonnes d’émissions de CO2 par an.
D’un autre côté, on estime aussi que régler l’un de ces problèmes contribuera à régler le second. Les solutions fondées sur la nature sont essentielles pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. En effet, les océans, les forêts et des sols séquestrent le carbone dans l’atmosphère et aident à éviter la poursuite du réchauffement climatique. On estime que cela représentera 14 milliards de tonnes d’équivalent CO2 (GtéqCO2) par an en 2050, soit environ un quart des émissions annuelles actuelles.
L’avenir sera celui d’une approche intégrée
Dans la mesure où ces deux problèmes sont liés, il est clairement souhaitable de les affronter de manière intégrée, tant pour éviter les conséquences indésirables que pour capter des synergies. C’est ce que concluent les scientifiques des deux panels concernés de l’ONU, à savoir la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) et le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). Par exemple, l’utilisation de la biomasse en tant que source d’énergie renouvelable peut être une bonne solution au changement climatique, mais elle nuit à la biodiversité si les habitats naturels sont convertis en plantations de monocultures.
En novembre 2022, la COP27 a consacré une journée entière aux solutions fondées sur la nature et aux interconnexions entre la biodiversité et le changement climatique. Cela a fait le pont avec la conférence sur la biodiversité (COP15) qui s’est déroulée un mois plus tard. Cette année, la COP28 à Dubaï mettra également l’accent sur la nature.
Il existe aussi une raison pratique pour laquelle l’industrie plaide en faveur d’une approche intégrée, à savoir le trop-plein de cadres de travail. À moyen terme, nous devrions être capables d’adopter une approche intégrée du climat et de la nature dans nos portefeuilles d’investissement. Pour le moment, cependant, nous pensons que le fait de trop insister sur une approche intégrée pourrait aboutir à une paralysie d’analyse.
De la difficulté de s’attaquer en même temps à la biodiversité et au climat
Une approche intégrée amplifie les difficultés d’analyse de ces deux grands sujets. Cela se traduit par un risque d’inaction ou une dilution des priorités, conduisant les investisseurs à ne pas suffisamment tenir compte des risques et opportunités en matière de climat et de nature pour susciter un véritable changement.
Le changement climatique n’est que l’une des cinq causes de la perte de biodiversité – les autres étant le changement d’utilisation des terres et des océans, l’exploitation des ressources, les espèces invasives et la pollution. Bien que complexe, il peut être ramené à un seul indicateur d’envergure mondiale: les émissions de gaz à effet de serre.
En matière de biodiversité, les évaluations sont encore récentes et nécessitent de prendre en compte les répercussions et les dépendances qui existent localement. Par exemple, les pénuries d’eau sont spécifiques à l’offre et à la demande dans les bassins-versants individuels, et les rejets d’azote sont très problématiques dans un pays densément peuplé comme les Pays-Bas, mais pas forcément dans un pays comme la France. Il est donc difficile de dresser un tableau global de la biodiversité.
S’il reste du pain sur la planche, l’évaluation du changement climatique devient la norme dans les décisions d’investissement. Toutefois, l’analyse des facteurs responsables de la perte de biodiversité nécessite plus de travaux pour en capter les nuances. En matière de climat, nous avons intégré les modèles d’évaluation qui établissent un lien entre les modèles climatiques mondiaux et les principales variables macroéconomiques. Nous ne disposons pas de tels modèles pour la nature. Nous recommandons d’en créer de façon modulaire afin de pouvoir y ajouter des niveaux de complexité au fil du temps.
La biodiversité dans le sillage du climat
La meilleure façon de procéder, selon nous, est de veiller à ce que les travaux effectués dans ces deux domaines sont compatibles tout en reconnaissant qu’ils ne sont pas encore prêts à être complètement regroupés. Nous observons que cela se produit déjà dans la pratique, par exemple dans les domaines suivants:
- Engagements mondiaux. Le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal suit le même mécanisme que l’accord de Paris: l’objectif général (aucune destruction nette de nature d’ici à 2030) doit être atteint grâce aux révisions périodiques des politiques et des cibles nationales, et grâce à l’alignement des modèles économiques et des flux financiers.
- Normes de communication. Le Groupe de travail sur l’information financière relative à la nature (TNFD) suit les quatre piliers du Groupe de travail sur l’information financière relative au climat (TCFD), qui permettent aux entreprises de tirer parti des processus de reporting existants.
- Engagement des entreprises. À l’instar de Climate Action 100+, des investisseurs mondiaux collaborent au sein de Nature Action 100 afin d’engager le dialogue avec les entreprises qui ont le plus d’impact sur la biodiversité.
- Analyse des scénarios. Le Réseau des banques centrales pour le verdissement du système financier (NGFS) et le programme «réponse politique inévitable» (IPR) des Principes pour l’investissement responsable introduisent la nature dans les évaluations des risques de transition climatique, où les principaux moteurs (politiques, technologies et dynamiques de marché) sont évalués de manière intégrée.
Quelle signification pour les investisseurs?
Le changement climatique comme la biodiversité sont des risques d’importance financière qui doivent être pris en compte, mais cela ne signifie pas que nous devons attendre d’avoir les outils pour adopter une approche intégrée. Chez Robeco, nous abordons ces thèmes comme des priorités stratégiques distinctes mais liées, afin de leur accorder l’attention nécessaire et de réaliser une analyse solide. Nous nous basons sur les enseignements tirés de la feuille de route que nous avons élaborée pour atteindre la neutralité carbone, afin de définir notre stratégie en matière de biodiversité, les deux étant menées par notre stratégiste climat et biodiversité.
Nous reconnaissons que les outils et les données nécessaires ne sont pas aussi avancés que ceux relatifs au climat. Néanmoins, nous agissons là où nous le pouvons, en nous concentrant sur les principales répercussions sur la biodiversité dans chaque secteur, et en identifiant les grandes actions que les entreprises de ces secteurs peuvent mettre en œuvre pour réduire leur contribution à la perte de biodiversité.
Les investisseurs peuvent se sentir dépassés par les nombreux aspects de la durabilité qui s’ajoutent à leur processus de décision. Chez Robeco, nous abordons le sujet à l’aide d’une évaluation solide de la matérialité pour chaque secteur et chaque enjeu de durabilité. Nous utilisons notre cadre ODD pour les Objectifs de développement durable qui concernent la biodiversité, le climat et d’autres aspects de la durabilité. Cela nous permet d’agréger dans un score unique les impacts sur la durabilité, tout en conservant la granularité sous-jacente des différents thèmes de la durabilité. Ainsi, nous abordons de multiples problèmes de façon simultanée tout en adoptant une approche modulaire et non intégrée.
Nous pouvons désormais nous attaquer aux deux aspects
Beaucoup de travail reste à accomplir. Pour stopper la perte de biodiversité, nous avons notamment besoin de trajectoires de transition dans chaque secteur, comme il en existe déjà en matière de décarbonation. Celles-ci serviront de références pour évaluer les entreprises de manière prospective quant à l’alignement de leurs activités sur les objectifs de l’accord de Kunming-Montréal.
Des méthodologies et des données relatives à la biodiversité sont rapidement mises au point pour faciliter les décisions d’investissement. Nous avons beaucoup appris de l’évaluation des risques et des opportunités liés au climat, ce que nous pouvons appliquer pour agir en vue de stopper la perte de biodiversité. Peut-être que grâce à ces enseignements, nous pourrons avancer plus vite dans la lutte contre la perte de biodiversité que dans celle contre le changement climatique.