Il est manifestement essentiel pour les banques européennes de trouver une solution à la crise de la dette souveraine. L’effondrement de l’euro serait catastrophique pour la plupart des grandes banques de la région, tandis que de lourdes dépréciations sur la dette des pays périphériques impliqueraient une augmentation de capital supérieure aux 115 milliards EUR estimés à l’issue des stress tests menés par l’Autorité Bancaire Européenne (EBA).
Cependant, même si la crise souveraine était complètement résolue, les banques resteraient confrontées au défi majeur du changement réglementaire qui risquerait lui-même d’affecter l’économie dans sa globalité.
La réglementation bancaire
Après maintes tractations depuis deux ans, nous y voyons enfin plus clair en ce qui concerne l’étendue des changements réglementaires. Avant même l’avènement de Bâle III, les ratios de fonds propres au sein des principales économies développées (Etats-Unis, zone euro, Japon, Royaume-Uni et Suisse) avaient déjà augmenté de 25% entre 2007 et 2010. Parallèlement, les banques avaient renforcé la part de leurs liquidités (via du cash et des emprunts d’Etat) de 14% à 20% de leurs actifs pondérés en fonction des risques.
Les exigences de fonds propres imposées par Bâle III sont à présent largement connues et impliquent une augmentation des fonds propres Core Tier 1 tant en termes de qualité que de quantité. Au total, cela implique pour les banques de ces pays de renforcer leurs fonds propres à hauteur d’environ 1 800 milliards USD pour atteindre le nouveau ratio Core Tier 1 de 7% minimum. L’essentiel de cette augmentation viendra des bénéfices non distribués, mais 240 milliards USD devront provenir de nouvelles émissions. Il s’agit là toutefois d’un minimum, les établissements d’importance systémique (la plupart des grandes banques mondiales) devront présenter un Core Tier 1 moyen d’environ 9%.
Les ratios de liquidité constituent l’autre grand volet de Bâle III applicable entre 2015 et 2018. Il s’agit notamment du Liquidity Coverage Ratio (le ratio à 30 jours de couverture de liquidité), qui mesure la résistance des banques en périodes de stress de liquidité, et le Net Stable Funding Ratio (le ratio de liquidité à un an), permettant de couvrir le financement des actifs à moyen et long terme.
Ces nouvelles mesures impliqueront de nouvelles demandes de financement net de 830 milliards USD d’ici 2015 et de 1 500 milliards USD d’ici 2020.
Le prix de la réforme
Cette réforme vise clairement à protéger les économies contre de sévères crises financières risquant d’impacter la production. Les études officielles tendent à conclure que les coûts induits à plus court terme sont gérables, avec des effets mineurs sur le PIB. Cependant, les importants montants à venir en termes de financement pour le secteur privé devraient se faire à des prix raisonnables. Cette supposition tient au fait qu’un secteur bancaire mieux capitalisé obtient un moindre coût en termes de financement. Cela étant, même en cas de solution à la crise souveraine, les investisseurs resteront probablement prudents à l’égard des banques.
Pour les investisseurs en actions, le fait que l’essentiel des bénéfices des banques ne sera pas distribué afin de renforcer les fonds propres incite notamment à la prudence. En outre, ces fonds propres ne constituent qu’un des trois coussins financiers d’une banque et est loin d’être le plus efficace. La génération de capital (le meilleur coussin) et les réserves constituent les deux autres amortisseurs. De surcroît, le coût des fonds propres devrait rester élevé compte tenu du volume important des actions nouvellement émises, de la baisse des marges induites par des taux d’intérêt durablement faibles et du risque de nouveaux chocs réglementaires. Les investisseurs auraient été plus heureux si on avait mis en place un système de réserves contra-cyclique en lieu et place de ratios de fonds propres très élevés. Cela aurait eu pour effet d’augmenter les ROE et de réduire le risque de pertes dans des cycles d’endettement dangereux (permettant ainsi d’éviter une recapitalisation dilutive).
Les investisseurs obligataires ne sont pas mieux lotis. Les spreads moyens sur la dette bancaire ont globalement augmenté de plus de 100pb au cours des quatre dernières années et, en Europe, le marché de la dette à long terme reste actuellement paralysé. Il est certain qu’une solution à la crise souveraine serait bénéfique, mais les investisseurs resteront prudents, compte tenu des potentiels bails-in, consistant à transformer la dette en capital. De surcroît, le marché devra faire face à de nouvelles émissions obligataires nettes significatives, compte tenu des exigences imposées par ces nouveaux ratios de liquidité.
Impact du désendettement
Du fait du coût plus élevé de ces nouvelles augmentations de capital ou émissions obligataires, les banques devront augmenter leurs marges, continuer de se désendetter et réduire leurs coûts afin de préserver leur profitabilité. L’Institut de Finance Internationale (IFF) a étudié l’impact de cette réglementation bancaire et prévoit une augmentation des taux des crédits bancaires au sein de ces économies matures de l’ordre de 364pb en moyenne entre 2011 et 2015 et de l’ordre de 281pb entre 2011 et 2020. Cette étude anticipe par ailleurs une croissance des crédits bancaires 3 à 5% moins élevée que le PIB nominal de ces économies, estimant ainsi que ce dernier sera inférieur de 3,2% à ce qu’il aurait été sans cette réglementation sur une période de cinq ans.
La conjonction des stress tests soumis par l’EBA sur la crise souveraine, de la paralysie du marché des obligations non garanties et du processus de désendettement induit par la réglementation de Bâle III est au coeur de la montée des inquiétudes en Europe ces dernières semaines, le sondage réalisé en octobre auprès des responsables des prêts témoignant de cette détérioration. UBS estime désormais que 11 à 13% des actifs des banques de la zone euro devront être cédés au cours des trois prochaines années (incluant de 1 400 à 1 700 milliards de dollars de crédits). Si des actions politiques correctrices ne sont pas prises rapidement (surtout et avant tout la mise en place de garanties sur les obligations bancaires non sécurisées), alors le scénario le plus probable serait celui d’une contraction de l’économie de l’ordre de 0,7% en 2012.