La notion de salaire décent apparait au début du XXe siècle, avec la création en 1919 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Par la suite, le concept a été repris de nombreuses fois dans les textes internationaux (Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale[1], Déclaration de l’OIT[2]…).
Selon l’OIT, le salaire décent[3] (notions similaires en français et en anglais: salaire vital living wage, salaire décent decent wage et salaire juste fair wage,) doit permettre à un travailleur et à sa famille de vivre décemment. Il doit couvrir l’alimentation, le logement, l’éducation, l’habillement, la protection sociale, le transport mais aussi l’épargne et les loisirs.
D’après l’OIT, même si 92%[4] de ses Etats membres ont un ou plusieurs salaires minimums légalement fixés, ces salaires ne garantissent pas un salaire décent dans certains pays.
Le salaire décent et ses quatre piliers – création d’emploi, protection sociale, droits au travail et dialogue social – sont des éléments centraux du Programme de développement durable des Nations Unies pour 2030 via l’Objectif de Développement Durable[5] (ODD) 8 - Travail décent et croissance économique, objectif d’ailleurs largement repris par les entreprises.
L’objectif est de créer une dynamique de progrès social, en permettant aux salariés de pouvoir vivre correctement de leur travail avec des conditions de travail équitables.
Recevoir un salaire décent en contrepartie de son travail est un droit humain fondamental.
Le salaire décent doit s’appliquer à l’ensemble des salariés même dans les pays où les normes sont insuffisantes, voire inexistantes, et doit concerner l’ensemble des chaînes d’approvisionnement des entreprises.
En tant qu’investisseur responsable, nos décisions d’investissement sont guidées par la prise en compte des critères sociaux, sociétaux et du respect des droits humains.
Pour une entreprise, le risque lié au salaire décent peut être opérationnel, réglementaire, structurel ou réputationnel et peut ainsi entraîner des conséquences financières à court ou moyen terme.
Si la réglementation et la législation continuent de se renforcer, que le dumping social[6] n’est plus acceptable, en plus du risque opérationnel (mouvements sociaux, arrêts de travail…), les entreprises s’exposent à des risques structurels (modèles d’affaires inadaptés) et devraient faire évoluer leur modèle économique.
Comment absorber la hausse des coûts salariaux?
Le coût final peut être matériel pour l‘entreprise. Sera-t-il partagé par l’ensemble des parties prenantes (fournisseurs, intermédiaires, distributeurs et/ou les consommateurs)? Sur ce point, aucune n’entreprise ne s’est encore prononcée.
Les sociétés qui gèrent correctement ces risques (reconsidération du modèle économique, internalisation de la supply chain, prise en compte de la hausse des coûts salariaux, réduction des intermédiaires…) sont celles qui résisteront le mieux.
Pour les entreprises, il existe plusieurs mesures qui pourraient limiter les risques et contribuer au progrès social:
- Un modèle d’affaires repensé et plus inclusif;
- Une méthodologie de calcul du salaire décent, une politique dédiée avec un périmètre d‘action et son implémentation dans les codes de l’entreprise;
- L’accès à la négociation collective pour les travailleurs;
- Une coopération continue avec les gouvernements et les fournisseurs;
- Un suivi des rémunérations des salariés internes ou des salariés des fournisseurs avec processus d’audit et la possibilité de non-renouvellement d’un fournisseur en cas de non-conformité;
- Un whistleblowing système (dispositif d’alerte interne) robuste et anonyme.
Plusieurs entreprises internationales (L’Oréal, Unilever, AXA, Microsoft, Hitachi, Accenture, Schneider Electric, Danone…) se sont engagées à offrir un salaire décent à tous leurs employés. Une exigence que ces entreprises souhaitent également retrouver chez tous leurs fournisseurs stratégiques. A titre d’exemple: «pour la période 2021-2025, Schneider s’engage à ce que 100% de ses fournisseurs stratégiques offrent un travail décent à leurs employés»[7]. Ces engagements sont vérifiables dans le cadre de son devoir de vigilance, via des audits internes ou externes, ou par l’intermédiaire d’équipes Achats dédiées.
L’absence de convention et de méthodologie de calcul universel du salaire décent ne permet pas de sanction ni un progrès social aussi rapide que nécessaire.
Cependant, la réglementation française «loi sur le devoir de vigilance» s’achemine vers un devoir de vigilance européen. La nouvelle feuille de route climatique et sociale menée par la PFUE[8] met l’accent sur le volet social, les coalitions d’investisseurs et de multinationales et la prise de conscience citoyenne, laissent augurer qu’une dynamique est en place. Si tel est véritablement le cas, les premiers progrès devraient être visibles prochainement.