Le policy-mix en économie c’est la combinaison aussi optimale que possible de la politique monétaire et de la politique économique. C’est toujours difficile mais cela l’est encore plus en zone Euro avec une politique monétaire unique mais autant de politiques budgétaires qu’il y a de pays dans la zone, donc avec des risques potentiels élevés de conflit d’objectifs dans la conduite des affaires économiques de la zone Euro.
Traditionnellement on apprenait en économie que lorsque la politique budgétaire est trop restrictive, il faut mettre en place une politique monétaire accommodante afin de ne pas trop peser sur le cycle économique. Et inversement, une politique budgétaire de relance inflationniste devait être compensée, en supposant une banque centrale réellement indépendante du pouvoir politique par une politique monétaire restrictive. Oui mais tout cela c’était avant (nous volons dire avant la décennie 2010).
Nous avons eu en effet une politique monétaire de plus en plus expansionniste (accommodante comme on dit) pour solvabiliser de plus en plus d’acteurs économiques avec des taux très bas voire négatifs, au premier rang desquels certains gros états de la zone Euro. Impensable donc d’imaginer une politique budgétaire restrictive visant à réduire les taux d’endettement des états, ceux-ci étant artificiellement stabilisés par la politique de la banque centrale. Les dirigeants politiques s’en satisfont, ce qui n’est pas très responsable puisque cette situation de laxisme monétaire provoque un certain nombre de déséquilibres (même si certains se manifesteront dans très longtemps):
- aléa moral qui n’incite pas les états les moins vertueux à la discipline budgétaire;
- inflation permanente de nombreux actifs financiers qui sont durablement déconnectés de leur valeur fondamentale (bénéfices futurs pour le cours action de nombreuses entreprises; capacité d’émetteurs obligataires à générer suffusamment de cash flows ou recettes fiscales pour couvrir leurs dettes);
- A très long terme, risques de non remboursement des dettes détenues par la banque centrale, ce qui peut équivaudra à des restructurations de dettes publiques, donc à une spoliation d’une partie importante de l’épargne des ménages.
- Enfin toujours à très long terme, une fuite devant la monnaie lorsque l’inflation des actifs financiers ne sera plus possible et lorsque l’excès de monnaie créée pendant tant et tant d’années provoquera une très forte inflation des biens et services.
Le problème désormais bien compris est que ces folles politiques monétaires sont irréversibles sous peine de dégénérer en une crise financière sans précédent. Alors que faire? A côté de cette fuite en avant des politiques monétaires et puisqu’il serait contre-productif de mettre en place des politiques budgétaires restrictives, alors il faut envisager des politiques budgétaires de resolvabilisation. Mais attention, cette resolvabilisation ne doit pas être artificielle (ce que réalise la politique monétaire avec un contrôle de presque toute la courbe des taux et le maintien de ceux-ci en dessous de la croissance – quand il y en avait – et de l’inflation). Il fait que cette resolvabilisation soit réelle. Cela signifie que la politique budgétaire doit avoir aujourd’hui plusieurs objectifs: certes la relance conjoncturelle mais encore la possibilité d’améliorer la croissance potentielle des économies les plus fragiles de la zone et au-delà financer des investissements coûteux (que le secteur privé ne pourrait pas rentabiliser avant longtemps) pour assurer la transition et la conversion de l’économie.
En ce sens le policy-mix (monnaie+budget) qui se dessine en Europe, malgré toutes les imperfections, aléas moraux et déséquilibres qui l’accompagnent est cohérent. C’est ce que nous verrons en détail dans ce papier A ce stade de l’article, il est aussi utile de rappeler qu’il existe 3 façons de mobiliser de l’argent pour financer l’économie (les impôts, la dette ou la création de monnaie). En temps de guerre ou de crise, la croissance du PIB est impossible et la fiscalité inutilisable, il ne nous reste donc que la dette et la création monétaire.
Les différents dispositifs activés avec force aujourd’hui peuvent être regroupés en 4 niveaux (certains ont été mis en place depuis plusieurs années) qui utilisent dette et création de monnaie
- Premier niveau: la création monétaire de la banque centrale qui rachète dettes publique et même dettes privées
- Second niveau: financements via le MES (Mécanisme européen de stabilité qui existe depuis 2012 et qui a été sollicité en avril 2020)
- Troisième niveau: financements de la BEI (Banque européenne d’investissement) qui font également partie du package d’avril 2020
- Quatrième niveau: enfin activation du budget de l’UE (Union Européenne) comme ce fut le cas lors du plan de relance européen de Juillet 2020
Nous allons revenir sur ces différents niveaux et modes de financement qui sont souvent présentés de manière spectaculaire par les montants qu’ils mettent en jeu sans que la pédagogie soit toujours au rendez-vous.
Mais avant de poursuivre, revenons sur ce sommet européen consacré à la mise en place du fonds de relance européen. Il est facile, commode et surtout démagogique, notamment en France, de faire des pays dits frugaux les nouveaux boucs-émissaires. Nous ne partageons nullement ce consensus et considérons que ces pays sont des lanceurs d’alerte salutaires. Face aux gouvernements des pays d’Europe du Sud (Espagne, Italie, Grèce et même France), vous trouverez donc ce que l’on appelle dans les médias avec beaucoup de mépris et condescendance les pays frugaux. Avec à leur tête les Pays Bas et leur premier ministre Mark Rutte ainsi que des pays qui ont la faiblesse de penser qu’il n’est pas raisonnable de dépenser plus que ce que l’on gagne (Autriche, Suède, Danemark et dans une moindre mesure Finlande).
Condescendance et mépris très affichés en France et particulièrement chez notre président. Celui-ci devrait pourtant faire profil bas en représentant l’un des pays les plus mal gérés budgétairement et aux dépenses publiques élevées et pas toujours très efficaces – la crise du COVID l’a fort bien montré. Et quand bien même Emmanuel Macron n’est pas responsable de la dérive des comptes publics depuis 40 ans, encore aurait-il pu avoir l’humilité de ne pas reprocher à certains pays leur bonne gestion et encore moins leur égoïsme De quel égoïsme parle-t-on quand l’on sait comme nous allons le rappeler dans cet article que sans les dispositifs qui existent depuis 10 ans (création monétaire de la BCE pour maintenir artificiellement la solvabilité de certains états de la zone Euro, FESF-MES, BEI et aujourd’hui UE), certains pays seraient purement et simplement sous tutelle financière.
Les frugaux nous disent simplement qu’il faut construire une Europe crédible et surtout ne pas prendre le prétexte de la pire crise économique depuis toujours pour mettre en place des politiques monétaire et budgétaire de plus en plus insupportables et irresponsables qui se transformeront en crises financières violentes durant les 20 prochaines années.
PARTIE 1: La première solidarité en zone euro a été mise en place par la BCE en 2012 (Tout part du «whatever it takes» de Mario Draghi)
Premièrement, la monétisation des déficits cycliques est devenue institutionnelle depuis la crise du COVID même si elle s’est mise en place avec les QE depuis 2015
On le disait, les messages politiques en France et en Italie qui parlent de l’égoïsme national des pays d’Europe du Nord (l’Allemagne n’étant pas concernée cette fois-ci puisqu’elle a rejoint les cigales et l’on comprendra plus tard pourquoi) sont absolument insupportables. Les gouvernements français et italien devraient reconnaître la chance qu’ils ont de voir une partie de plus en plus importante de leur dette publique rachetée systématiquement par la création monétaire de la BCE; de façon certaine pour les déficits publics conjoncturels en forte hausse en 2020 et peut-être même au-delà.
Deuxièmement, il est absolument contre-productif de parier sur la fin de l’euro. Nous sommes là aussi en plein aléa moral
Il y a trois raisons fortes qui renforcent l’irréversibilité de l’Euro. Inutile donc de perdre son temps et son argent à spéculer sur la fin de l’Euro.
Tout d’abord, d’un point de vue bancaire, la fin de l’euro n’est pas possible. On connaît certes les dysfonctionnements de la zone Euro et notamment la difficulté de faire coexister dans la même union monétaire le modèle de spécialisation économique industrielle des pays d’Europe du Nord et celui d’Europe du Sud (France comprise) basé sur les services souvent non exportables, le premier accumulant les excédents commerciaux et le second les déficits. C’est la banque centrale qui a masqué ces dysfonctionnements et surtout le fait que les excédents de certains pays de la zone ne finançaient plus (depuis 2011 déjà) les déficits d’autres pays. Comment les choses se passent-elles?
- En fait l’excédent d’épargne des Allemands alimente les dépôts des banques allemandes à la BCE, explique le solde créditeur de la Bundesbank à la BCE et cette dernière finance les pays déficitaires par les dispositifs non conventionnels de refinancements.
- Cela signifie que vis-à-vis du système inter-banques centrales nationales de la zone Euro (appelé TARGET pour Trans-European Automated Real-time Gross settlement Express Transfer), les soldes créditeurs des banques centrales nationales des pays excédentaires ne font que s’accroître alors que les soldes débiteurs des banques centrales nationales des pays déficitaires ne se réduisent pas. Dans la mesure où les créances TARGET sont comptabilisées dans l’Eurosystème, tous les membres de la zone Euro doivent partager le défaut d’une des banques centrales possédant une dette TARGET, en fonction de leur part dans le capital de la BCE. Les systèmes bancaires «créditeurs» peuvent donc perdre à due concurrence de la participation de leur banque centrale nationale dans le capital de la BCE car le système est centralisé. Qui a donc intérêt à ce que le système implose? Pas l’Italie dont la banque centrale nationale débitrice ne peut vivre sans la zone Euro; pas non plus l’Allemagne dont la banque centrale nationale créditrice aurait beaucoup à perdre d’une implosion de la zone Euro.
Ensuite, d’un point de vue financier, la fin de l’euro n’est pas non plus possible. Les pays très endettés du sud (Italie, Espagne, Portugal, Grèce sans oublier notre pays) qui sortiraient de la zone et reviendraient à leurs monnaies nationales seraient contraints de faire défaut sur les dettes publiques et privées détenues par les non-résidents des autres états de l’Union compte tenu du surcoût (chute des nouvelles monnaies contre euro) de la dette extérieure libellée en euro. A l’opposé, si des pays tels que l’Allemagne disposant d’actifs extérieurs importants dans les pays du sud sortaient de la zone, ils devraient alors faire face à des violentes dépréciations d’actifs en euro compte tenu de la chute de le monnaie européenne contre un nouveau mark allemand. Les banques et assureurs allemands deviendraient vite insolvables.
Enfin, d’un point de vue macroéconomique, la sortie de l’euro des pays «riches» n’est pas possible pour eux, ce qui les contraint à accepter la solidarité, mais égoïstement (et peu importe) car la compétitivité de leurs économies serait désastreuse en cas d’explosion de la monnaie unique.
PARTIE 2: LA SOLIDARITE S’EST RENFORCEE EN AVRIL 2020 AVEC UN ENDETTEMENT DE PLUS EN PLUS MUTUALISE
Au-delà de la création monétaire (et des programmes de rachats d’actifs de la BCE intensifiés depuis mars), il y a l’endettement déjà mutualisé en quelque sorte. Avec l’actualité récente du plan de relance européen, on en aurait presque déjà oublié la validation du plan européen considérable d’avril 2009 qui, sans mettre en place un fédéralisme fiscal officiel et la mise en place d’Eurobonds, va finalement assez loin dans la mutualisation de l’endettement
- Il y a d’abord le Mécanisme européen de stabilité (MES) crée en 2012 en pleine crise des dettes souveraines qui dispose d’un vrai capital de départ de 80 Mds€ et d’un capital mobilisable de 620 Mds€, ce qui en fait un organisme proche d’une banque. Il a été en fait crée pour recapitaliser les banques directement et pour montrer que celles-ci pouvaient se passer du secours des Etats. Officiellement donc, le capital appelé ne devait pas être utilisé pour acheter de la dette publique, mais devait servir à absorber les pertes liées à des restructurations de dettes souveraines. Le plan européen du 09/04 dernier qui met à contribution le MES l’éloigne quelque peu du rôle qui était le sien lors de sa mise en place puisqu’il ne concerne pas des recapitalisations bancaires mais un soutien massif aux finances publiques des états de la zone Euro. En effet, les états en difficultés budgétaires pourront être autorisés à tirer sur les lignes de crédit disponibles jusqu’à un plafond de 2% de leur PIB, soit jusqu’à 240 Mds€ dans le scénario extrême de tirage maximal par tous les états en même temps.
- Au-delà du MES, le plan du 09/04 dernier sollicite également la Banque européenne d’investissement (BEI) qui va porter à 200 Mds€ ses moyens d’intervention en faveur des PME européennes. Dans le cas de la BEI, la force de frappe financière est colossale et heureusement, il ne sera pas necessaire de faire appel aux actionnaires que sont les états de l’Union Européenne pour qu’ils augmentent leurs contributions. . Cette force de frappe financière peut être représentée de deux façons
- Le capital souscrit total auprès des états de l’UE au fil des années est de 248,8 Md€, dont seulement 21 Md€ de capital effectivement versé et donc 227,8 Md€ de capital libérable ou appelable. L’actionnariat souverain ainsi que l’importance du capital libérable expliquent que les obligations émises par la BEI bénéficient de la meilleure notation possible par les agences, AAA.
- Par ailleurs, même si le régulateur des banques européennes (BCE) imposait à la BEI de respecter une norme de solvabilité à 12% par exemple (ce qui est tout à fait théorique puisque cette institution n’est pas une banque de «droit commun» et, en plus, ce serait une norme très contraignante), cela signifierait que les encours d’engagements sur des entreprises pourraient monter jusqu’à près de 1900 Mds€ (capital libérable divisé par 12%)
PARTIE 3: AU DELA DE LA BCE, DU MES et de LA BEI, IL FALLAIT FRANCHIR UNE ETAPE SUPPLEMENTAIRE AVEC LE FONDS DE RELANCE QUI CREE LES FONDEMENTS D’UNE POLITIQUE BUDGETAIRE COMMUNE
Nous avons cette fois-ci un plan qui ne repose ni sur la BCE, ni sur le MES, ni sur la BEI mais essentiellement sur le budget européen et in fine sur les capacités de l’Union Européenne à lever de l’argent sur les marchés financiers.
Le fonds de relance sera composé de deux parties: 390Mds€ de transferts directs (des subventions) et 360Mds€ supplémentaires de prêts accordés à des conditions bonifiées. La longueur des débats s’explique surtout par l’allocation des 750 Mds€ et la pression des frugaux pour réduire la part des dons (subventions) initialement prévue à 500Mds€. Nous passons donc d’un package 500/250 à 390/360
- La partie subventions sera financée sur le budget de l’UE et notamment via le mécanisme de relance et de résilience (RRF – Recovery and Resilience Facillity), qui dispose d’une capacité de financement d’environs 670 Mds€ milliards d’euros.
- La partie prêts du plan sera financée par le recours à des émissions de l’UE (probablement à très faible coût car collatéralisée par des recettes et taxes futures qui ne devront pas pénaliser la production)
Pour que ce fonds de relance ne soit pas celui des illusions perdues (et pour qu’il compense une politique monétaire trop accommodante et génératrice de déséquilibres financiers potentiels importants), il faut espérer que cette politique budgétaire de relance massive ne finisse pas par se transformer en une politique de relance keynesienne par la demande. Non seulement celle-ci est inutile (l’excès d’épargne privée est énorme en Europe) mais en plus cette politique existe déjà avec la monétisation des déficits par la banque centrale (la création monétaire achète les dettes émises par les états, lesquelles financent toutes les dépenses courantes, aussi bien sociales que de fonctionnement).
Ce fonds de relance doit au contraire reposer sur une politique innovante visant à corriger les chocs d’offre, à investir massivement dans la recherche et à faire baisser fortement la fiscalité des entreprises de secteurs en difficulté. Il doit s’agir de compléter le plan Juncker en mettant en place des projets de «green deals» grâce à la constitution de fonds européens d’investissement dans la transition énergétique et les technologies associées. En effet, pour limiter à 2° la hausse de la température de la planète d’ici la fin du 21ème siècle, il faudrait que les émissions de CO2 diminuent chaque année alors qu’elles continuent à progresser. Pour réduire l’utilisation des énergies fossiles, il faudra donc développer plus vite et en quantité beaucoup plus massive les énergies renouvelables afin qu’elles se substituent rapidement aux énergies traditionnelles. Cela signifie que les dépenses d’investissement dans les énergies renouvelables devront être considérables.
Le fonds de relance doit servir à cela. La BEI doit servir à cela. En réalité, si tous ces plans de relance et dispositifs de financement doivent permettre de sortir de la crise économique et sociale, ils doivent surtout avoir pour finalité de très long terme de financer la coûteuse transition économique