Si bien évidemment le secteur d’activité peut jouer dans le contexte économique actuel, il n’est pas forcément prépondérant et on observe des entreprises d’un même secteur ou des entreprises tout aussi cycliques les unes que les autres, montrer des résultats tout à fait différents.
Parmi quelques tendances ou sujets qui font la différence:
- Le secteur des matières premières, qui avait profité à plein de l’effet pénurie et inflation des années récentes, vit maintenant des temps plus difficiles et l’effet ciseau d’une phase d’investissements et de dividendes généreux face au ralentissement actuel et à la baisse des prix peut être assez puissant. Ainsi, nous noterons par exemple cette semaine la publication d’Eramet, essentiellement présent sur le manganèse et le lithium, qui affiche un chiffre d’affaires en baisse de 35% et un Ebitda en baisse de 77%... De même Asla, sur le zinc, publie-t-elle un chiffre d’affaires en baisse de 24% et un Ebitda en baisse de 41%...
- Ces baisses peuvent être relativisées car, souvent, les années précédentes étaient bonnes, voire exceptionnelles, mais il est important pour un investisseur obligataire d’apprécier la gestion de ces baisses de résultats et c’est souvent là que l’on voit les émetteurs fiables et capables de résilience sur le long terme et ceux qui pourraient au contraire apporter quelques sueurs froides, sans pour autant faire défaut puisque ce type d’évènement reste tout de même extrêmement rare, surtout en Europe. Ainsi, on observe par exemple deux types de gestion totalement différentes entre les deux émetteurs cités ci-dessus, alors même que le secteur est quasi identique et la situation tout à fait comparable:
- D’un côté Asla a fortement réduit les coûts, avec une réduction des frais de personnel de presque 10% et une réduction des coûts externes d’un quart. C’est précisément ce qui permet d’atténuer l’effet de la baisse de chiffre d’affaires sur l’Ebitda, alors même qu’on peut souvent observer un effet multiplicateur, l’Ebitda étant par définition une marge pouvant fondre à zéro bien avant le chiffre d’affaires.
- De l’autre côté, chez Eramet justement, qui souffre de sujets politiques, sociaux et d’une gouvernance sans doute plus fragile, très peu de corrections ont été mises en place et la politique d’investissement massive a probablement duré un peu trop longtemps, signe d’une mauvaise appréciation de la conjoncture. Les capex ont fait plonger les cash-flows à -400M€, même la branche manganèse, traditionnellement plus solide passe en cash flows négatifs… Et surtout, point le plus critique pour un créancier, le management a décidé de continuer à rémunérer généreusement ses actionnaires alors même que la situation devient difficile. Et l’entreprise, plutôt que d’améliorer l’opérationnel doit en passer par des solutions de haut de bilan pour préserver sa qualité comme la cession d’une usine ou une augmentation de capital sur une joint-venture. Si nous ne considérons pas forcément cela comme des signes avant-coureurs de défaut, cette gouvernance et cette politique financière sont pour nous clés dans l’appréciation de l’émetteur dont on commencera à s’éloigner, d’abord potentiellement sur les obligations les plus longues, qui restent sur des rendements modérés par rapport à leur qualité de crédit et peuvent aisément être arbitrées. Les obligations courtes quant à elles peuvent profiter d’un coussin de trésorerie encore significatif de l’entreprise et pourront être conservées à échéance, tout en gardant en tête que des accès de volatilité pourraient survenir. Profitons-en ici pour préciser que détenir une obligation Eramet, pour une position très limitée dans un fonds à échéance, n’impliquera pas les mêmes arbitrages que sur un fonds flexible. Comme nous l’avons précisé ci-dessus, le défaut d’Eramet est encore loin et sur un fonds à échéance, l’idée est précisément de faire abstraction de la volatilité intermédiaire pour se concentrer sur le risque final et la maximisation du rendement. Sur un fonds flexible en revanche, la gestion sera différente et la position pourra être arbitrée plus rapidement, voire déjà supprimée car peu rentable en termes de rapport volatilité à court terme/rendement par rapport à d’autres opportunités.
- Parmi les secteurs offrant de belles publications, nous noterons à ce sujet le secteur bancaire, qui est malheureusement peu propice aux fonds à échéance. D’un côté les obligations seniors, à maturité souvent fixe et au meilleur rating (la plupart du temps investment grade en Eurozone) , offrent généralement peu de rendement. De l’autre les obligations subordonnées, Tier 2 ou Tier 1, peuvent offrir des rendements tout à fait attractifs, mais ont souvent des structures avec options de rachat anticipés de la part des émetteurs (calls): les tier 2 ont souvent des calls 5 ans avant la maturité et les Tier 1 sont, quant à elles, le plus souvent perpétuelles avec des calls. Difficile donc d’assurer le remboursement d’un fonds à une échéance précise avec ce type d’obligations, à moins de faire confiance aux probabilités, qui fonctionnent la plupart du temps quand tout va bien mais deviennent totalement inopérantes lors des crises, moments où les investisseurs finaux auront précisément besoin de sécurité et de fiabilité…Ainsi, les obligations bancaires pourront par exemple être une bonne alternative à certains corporates peu performants dans un fonds flexible sans contrainte d’une échéance précise, tandis qu’elle ne pourront l’être dans un fonds à échéance, ce qui supprime un gisement très important pour les seconds, les banques étant les émetteurs obligataires les plus prolixes du marché. Par exemple, Eramet 2025, à la note de crédit BB mais qui devrait plutôt se situer autour de B à des publications de cette semaine, offre actuellement 5.5% de rendement, ce qui est le même rendement que l’obligation Tier 2 de la banque Abanca 2030 call 2025, bénéficiant elle aussi d’une note BB (la banque étant BBB- en senior) alors même que la fiabilité et la tendance récente du second est bien meilleure que celle du premier.
Le secteur est ainsi le premier vecteur des publications dans la conjoncture actuelle mais il est très largement pondéré par la gestion de l’entreprise et les secteurs les plus en crise, comme l’immobilier ou la grande distribution, montrent des cas de figure presque opposés en fonction de la gestion de l’entreprise, avec les premiers défauts ou restructurations de dette d’un côté et des recovery tout à fait encourageantes de l’autre côté comme l’a montré par exemple l’Allemand Douglas depuis maintenant plusieurs années. Et qu’est la gestion et préservation de la qualité d’une entreprise sur long terme sinon sa gouvernance, sujet qui est certes devenu un des trois piliers de l’ESG mais est depuis toujours un sujet prépondérant de l’analyse crédit, tout aussi important que ses chiffres.