D’ici la fin de ce 1er trimestre, la Life Insurance Corporation of India (LIC) devrait déposer son dossier d’introduction en bourse pour une opération avoisinant 10 Md $. Parmi les diligences en cours, reste celle liée à l’obtention d’une notation ESG (Environnemental, Social, Gouvernance). Ceci est l’occasion de comprendre les impacts ESG sur la valorisation d’une introduction en bourse ainsi que les méthodologies de valorisation ESG.
Les chercheurs Alessandro Fenili et Carlo Raimondo ont publié en juin 2021 un article de recherche intitulé «ESG and the Pricing of IPOs: Does Sustainability Matter». Ils ont étudié les prospectus de 783 introductions en bourse aux Etats-Unis intervenues entre 2012 et 2019, sur la base d’une analyse textuelle comportant 528 mots-clés se rapportant à la sémantique E, S ou G. Leurs travaux de recherche visaient à définir et mesurer une éventuelle corrélation entre les informations ESG du prospectus et certains paramètres d’introduction en bourse, à savoir la sous-évaluation (différence entre le cours de l’action à la clôture du 1er jour de cotation et la valeur retenue pour son introduction), la révision du cours de l’action (rapport entre le cours de l’offre d’introduction et la fourchette de cours lors de la phase d’enregistrement pré-introduction) et l’évaluation d’ensemble de l’entreprise.
Leur hypothèse de recherche est que les informations ESG divulguées viennent diminuer l’asymétrie d’information vis-à-vis des investisseurs et donc amélioreraient in fine le processus d’introduction en bourse, en limitant les risques de volatilité du cours d’introduction (phase pré-introduction et 1ère journée de cotation) et en précisant la valeur au dénominateur (évaluation de l’entreprise dans son ensemble).
Au final, les chercheurs concluent à une corrélation forte avec, par ordre d’importance, les sujets de Gouvernance, puis ESG dans son ensemble, puis Social et enfin Environnemental.
Les documents analysés par ces chercheurs sont construits à partir de référentiels tels que GRI (Global Reporting Initiative), CDSB (Climate Disclosure Standards Board) ou SASB (Sustainability Accounting Standards Board), pour n’en citer qu’une minorité. A titre d’illustration, l’approche proposée par CDSB en ce mois de janvier 2022 est une checklist intitulée «Climate-related checklist for IFRS financial statements». Cette checklist incite et aide les préparateurs d’états financiers à inclure au sein de leurs documentations en normes IFRS, des problématiques liées aux risques et aux opportunités climatiques. Pour un assureur, les questions portent principalement sur IFRS 17 et notamment l’intégration de l’augmentation des événements de risque climatique mais également sur IFRS 9 et la mesure des implications liées aux instruments financiers «durables» ou «verts» ou encore la revue du risque de crédit lié aux risques climatiques accrus. Ces processus de production des documents ESG par les entreprises s’inscrivent dans un fort mouvement de standardisation du reporting de durabilité qui prend corps sur l’année 2022, au niveau international avec la création de l’ISSB (International Sustainability Standards Board), issu de l’intégration par l’IFRS Foundation de CDSB et de Value Reporting Foundation, avec à sa tête Emmanuel Faber.
Sur cette base documentaire, les agences de notation extra-financière telles que MSCI, S&P Global ou Sustainalytics, procèdent à l’évaluation ESG des entreprises. À titre d’illustration, les notations ESG du groupe AXA sont respectivement de 92.9, 88 et 73.6, chacune sur 100. Chaque agence s’appuie sur une méthodologie qui lui est propre, avec les débats que cela peut soulever en termes de transparence ou de vérifiabilité. Les écarts de note de l’illustration montrent bien les divergences méthodologiques qui existent entre les agences. Dans le cadre d’une introduction en bourse, la stratégie ESG d’une entreprise peut être estimée et comparée selon les notations ESG attribuées par les agences de notation extra-financière. Le choix de telle ou telle agence de notation s’avère donc ainsi décisif pour l’entreprise qui s’introduit en bourse et pour ses conseils financiers. Tel que rappelé par l’article de recherche «Aggregate Confusion: The Divergence of ESG Ratings» du MIT Sloan et de l’Université de Zurich, qui a procédé à l’analyse comparative de 6 agences, les notations ESG varient sur plusieurs points que ce soit sur les méthodes de mesure, le périmètre d’analyse ou encore les pondérations appliquées. Dans ce contexte, il existe plusieurs modèles d’utilisation des notations ESG par les investisseurs:
- 1/ travailler avec une seule agence de notation,
- 2/ faire appel à plusieurs organismes de notation, à la fois généralistes et spécialisés,
- 3/ ne pas prendre en considération les notations mais plutôt les données collectées par les agences et les rapports publiés par les entreprises, croisés avec les publications d’ONG.
Ces 3 solutions ne sont envisageables qu’à condition d’avoir atteint un niveau de maturité suffisant en matière de transition et de documentation ESG, sous peine d’être pénalisée lors de l’introduction en bourse.
Dans le cas particulier de LIC, l’entreprise mène les diligences nécessaires pour obtenir une notation ESG. Son document de référence 2020-2021, fort de 409 pages, n’en consacre qu’une aux aspects ESG, et encore insiste-t-elle sur ses investissements réalisés dans le secteur social et dans sa fondation d’entreprise. Cette opération boursière d’envergure a pris déjà du retard du fait notamment de la multiplicité des diligences à mener, dont celle portant sur une notation ESG. En effet, la diligence ESG dans la cadre de la pré-introduction en bourse est désormais un paramètre crucial, et confirmé par la recherche, à prendre en considération pour maximiser l’opération. Au regard des 3 modèles d’utilisation des services proposés aux investisseurs par les agences de notation, LIC se retrouve aujourd’hui sans réel choix possible, du fait du manque de maturité de sa démarche ESG. En effet, pour pouvoir communiquer auprès d’un maximum d’investisseurs, LIC doit faire appel à plusieurs organismes de notation, à la fois généralistes et spécialisés, ce qui n’est pas sans engendrer des délais et des coûts supplémentaires à l’opération d’introduction en bourse, afin de tenter de réduire les risques de sous-évaluation de l’opération.