La dépendance de l’Europe à l’égard du gaz russe et le blocus imposé par Vladimir Poutine aux exportations ukrainiennes de céréales en provenance de la mer Noire ne sont que la première partie de la crise énergétique et alimentaire que traverse le continent. Aujourd’hui, une nouvelle menace est apparue, à savoir la propagation de la sécheresse. En Espagne et dans le sud de la France, les températures ont dépassé 43 °C le mois dernier, des niveaux que l’on observe généralement en juillet ou en août[1]. En Italie, le niveau du fleuve Pô est tombé à son niveau le plus bas depuis 70 ans en raison des faibles précipitations dans les Alpes occidentales[2]. Les récents orages sur le nord de l’Italie n’ont apporté aucun changement[3].
L’Italie du Nord représente près de 50% de la production européenne de riz[4]. Outre les prix du risotto dans les supermarchés, le faible niveau des réservoirs et des rivières menace également la production d’électricité. La production hydroélectrique italienne est déjà inférieure 40% au cours des cinq premiers mois de 2022 par rapport à l’année précédente[5], ce qui s’explique principalement par le fait que l’eau disponible est détournée pour l’irrigation dans l’agriculture. Dans le secteur nucléaire, la production d’électricité dépend du niveau des rivières, qui doit rester suffisamment élevé pour permettre le refroidissement.
Notre graphique de la semaine montre la part de l’électricité d’origine nucléaire et des énergies hydrauliques en Europe. Il révèle que la Norvège, l’Islande, la Suisse et l’Autriche sont particulièrement dépendantes de l’hydroélectricité, tandis que le nucléaire se distingue notamment en France, en Hongrie et en Belgique. Alors que les pays européens cherchent des moyens de pallier les pénuries de gaz en augmentant la production d’électricité à partir du charbon, comme l’Allemagne et les Pays-Bas[6], il faudra vraisemblablement assumer un coût environnemental pour que les centrales nucléaires de pays comme la France continuent de fonctionner. La sécheresse de 2003 a suffi à convaincre le gouvernement français d’assouplir les règles permettant de ramener l’eau des rivières à des températures plus élevées que celles normalement autorisées, alors que 4 réacteurs nucléaires ou 4 000 mW de capacité de production avaient été arrêtés à cause de la sécheresse[7]. Le parc atomique français, vieillissant, est devenu de plus en plus sensible aux pannes de toutes sortes[8].
Cette situation peut avoir des conséquences majeures pour les décideurs politiques et les investisseurs. À première vue, notre graphique pourrait souligner les risques spécifiques aux pays où les centrales hydroélectriques ou nucléaires représentent la majeure partie de la production d’électricité. Pour les investisseurs à plus long terme, les enseignements sont très différents. Le marché européen de l’électricité est largement - mais pas encore totalement - intégré. Les problèmes rencontrés dans un pays se répercutent inévitablement sur les prix de gros dans le reste du continent[9].
La part de la production d’électricité d’origine hydraulique et nucléaire par pays (2021)
Le graphique vise au contraire à souligner la nécessité de diversifier les approvisionnements à l’échelle européenne et ainsi favoriser l’intégration du marché de l’énergie en investissant dans des capacités interconnectées entre les pays[10]. Même à l’ère des changements climatiques, de faibles précipitations dans une région coïncident généralement avec du vent, de la pluie ou du soleil dans une autre. Une bonne combinaison des sources renouvelables géographiquement réparties permet d’équilibrer les fluctuations de la production d’électricité. Mais, cela n’est utile que si les réseaux électriques peuvent transporter de l’énergie renouvelable bon marché là où elle est nécessaire. La dernière crise en date devrait donner un nouvel élan aux efforts déployés depuis longtemps par l’Union européenne (UE) pour y parvenir[11]. C’est pourquoi nous pensons que les investisseurs doivent garder la tête froide et rester vigilants quant aux opportunités qu’offre la canicule qui sévit cet été. Un jour, il pleuvra à nouveau.