Yanis Varoufakis avait sans doute lu notre chronique du 7 novembre 2011 dans laquelle nous présentions les obligations indexées sur la croissance comme un des instruments possibles pour faire face à la crise de la zone euro.
Du point de vue de l’émetteur, l’intérêt principal de telles obligations vient du fait que le service de la dette varie avec la conjoncture, avec la capacité du pays à payer. Pour l’investisseur, cette obligation possède certaines caractéristiques des actions, puisqu’elle permet de spéculer sur la croissance future du pays.
Si en moyenne sur longue période, la croissance du pays est forte, l’intérêt de détenir ce type d’obligations est loin d’être nul. Mais surtout, le risque de défaut est moindre, puisqu’il y a une forme de «risk-sharing» lié à la nature du coupon.
Un autre intérêt de ces obligations indexées sur la croissance nominale est qu’elles sont de facto en partie indexées sur l’inflation. Une situation qui serait très précieuse aujourd’hui compte tenu de la faiblesse du déflateur du PIB grec. Le coupon de cette obligation tiendrait donc compte à la fois de la faiblesse de la croissance réelle et de la faiblesse de l’inflation, ce qui en théorie soulagerait considérablement le pays. Bien sûr, dans le cas contraire, quand la croissance du PIB nominal est solide, le pays doit payer un coupon important sur ces obligations, ce qui peut poser des problèmes politiques internes.
Mais ces problèmes politiques liés à un coupon élevé sont sans doute moins graves que ceux liés à un service de la dette insupportable dans un contexte de croissance faible. Et on peut très bien imaginer une structure qui bornerait le coupon à la baisse comme à la hausse.
L’obligation indexée sur la croissance est donc a priori séduisante… sauf qu’avec les restructurations passées, la maturité moyenne de la dette grecque est de 16.5 ans et le coupon moyen est déjà très faible (surtout si l’on tient compte de facteurs tels que le remboursement par la BCE des intérêts payés). Dans le cas de la Grèce d’aujourd’hui, l’idée n’est donc plus aussi séduisante qu’au tout début de la crise. Le gouvernement grec a d’ailleurs annoncé hier que le ratio de dette a probablement augmenté à 185% du PIB l’année dernière, ce qui souligne le caractère non soutenable de la dette hellénique en dépit des restructurations déjà effectuées. Une situation qui ne peut guère s’améliorer à court terme, compte tenu du niveau des taux nominaux comparé à celui de la croissance nominale. Une dette indexée sur la croissance aurait donc un comportement contracyclique intéressant, mais ne résoudrait pas tous les problèmes du pays, tant s’en faut.
L’autre proposition qui avait été faite par le ministre des finances grec était de transformer la dette détenue par la BCE en dette perpétuelle. Les dettes souveraines contenant encore des obligations perpétuelles deviennent rares. Au Royaume Uni, il y a encore 9 lignes, toutes émises dans la première partie du siècle précédent, mais dont le gouvernement britannique envisageait récemment de se débarrasser (ce qui était d’ailleurs un peu surprenant, puisque les coupons de ces papiers sont inférieurs au coupon moyen des gilts, qui est de 3.87%, et que les émissions très longues récemment effectuées ont des coupons analogues voire supérieurs aux perpétuelles). L’idée est intéressante, puisque de facto cela ferait disparaître le risque de «roll» sur cette portion de la dette (environ EUR 27 Mds). Ou plus exactement, si une option de rachat est associée, comme c’est en général le cas, à ces obligations perpétuelles, la Grèce pourrait racheter ces lignes quand elle le souhaiterait. Techniquement, l’émetteur est long d’un call sur cette obligation. Evidemment, la duration moyenne de la dette grecque s’en trouverait fortement augmentée. En effet, pour une obligation perpétuelle, la duration est égale à 1+(1/k), où k est le rendement de l’obligation. Si le rendement est, par exemple, de 3%, la duration est de 34 ans. Et bien sûr, si le coupon est plus faible, la duration est plus élevée.
Cette idée peut être intéressante, à condition bien sûr que le choix du coupon se fasse astucieusement. Yanis Varoufakis aurait pu finalement aller un cran plus loin, en proposant de swapper une partie de la dette actuelle en dette perpétuelle indexée sur la croissance nominale…
Pas sûr toutefois que cela séduise outre mesure les autres pays européens qui ont bénéficié d’un bailout aux conditions sensiblement moins intéressantes. Et de toute façon, à court terme, le problème principal est de trouver un accord sur le bailout avant la fin du mois. Le marché semble vouloir continuer de croire qu’un accord est possible, si l’on en juge par le comportement des obligations et des actions grecques aujourd’hui, en dépit de l’échec des négociations hier.