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Du krach de la désinflation au boom inflationniste

Selon Peter de Coensel, CIO taux fixes, DPAM, à plus long terme, nous devrions assister au retour d’un cycle économique plus marqué, fondé sur des bases plus solides. Ce boom inflationniste permettra aux actifs risqués de connaître un nouvel essor.

Les commentaires concernant les résultats du 1er semestre 2020 vont démarrer d’ici environ une semaine et demie et il est à parier que le mot «surprise» sera très présent. Le fait que les marchés financiers n’aient subi qu’une correction modeste alors que l’économie s’est arrêtée et que les PIB mesurés à prix constants se sont effondrés, reculant de 5 à 15%, est pour le moins étonnant. Quelle que soit la forme que prendra la reprise, le délai nécessaire pour que l’économie mondiale retrouve son niveau de fin 2019 se calculera en années et non pas en trimestres.

Lorsque ce niveau sera atteint, il sera possible de parler à nouveau d’une économie «en plein essor». Entretemps, il paraît justifié de parler de contraction de l’économie. Les défauts de paiement vont se multiplier, que ce soit au niveau des États, des entreprises ou des ménages. Les politiques monétaires et budgétaires mises en place rendent ce processus moins douloureux, mais elles pourraient également avoir pour conséquence d’en allonger la durée.

Les modèles d’affaires qui sont dans l’incapacité de s’adapter à l’évolution des comportements d’achat des consommateurs et des entreprises, ni à celle des conditions de travail et d’approvisionnement des facteurs de production, ne survivront que difficilement. Il en ira de même pour les acteurs qui ne sont pas mesure d’exercer leur influence sur la fixation des prix. Le bas niveau des taux d’intérêt ne les protégera que temporairement. De plus, si l’on admet que l’économie se trouve en pleine mutation, il faut également accepter le fait qu’un tel environnement est de nature déflationniste.

Cette analyse s’inspire des travaux de Charles Gave qui considère que, pour les investisseurs, il convient de distinguer quatre types d’environnement économique (ndlr: système des quadrants). L’économie croît ou se contracte et les prix augmentent ou diminuent. Chaque scénario d’expansion ou de ralentissement économique dépend de l’écart entre les taux observables sur le marché et le taux optimal ou naturel (ndlr: celui que l’on ne peut qu’inférer selon l’économiste suédois Knut Wicksell).

Le boom de la désinflation

Depuis 2009, les taux d’intérêt sont pratiquement nuls ou proches de zéro et la désinflation est la règle. La période 2009 – 2019 peut donc être qualifiée de période de boom de la désinflation. Durant cette phase, les grands gagnants ont été les investisseurs qui ont acquis les titres d’entreprises en croissance capables de dicter leur prix. A l’inverse, les valeurs de substance ou les entreprises n’ayant qu’une faible capacité à influencer les prix ont été à la traîne. Relevons néanmoins que la plupart des segments du marché des titres à taux fixes ont continué à offrir de belles performances grâce aux politiques monétaires très interventionnistes. Cependant, comme les taux pratiqués sur le marché étaient inférieurs au taux naturel, la mauvaise allocation des capitaux s’est aggravée.

Le krach de la désinflation

Depuis le premier trimestre 2020, la pandémie due au coronavirus a déclenché un épisode de contraction désinflationniste. Dans un tel environnement, les investisseurs devraient acheter ou conserver les obligations d’État de qualité et vendre les actifs risqués. C’est effectivement ce qui s’est produit: les bons du Trésor américain, les obligations des États membres de l’UEM ainsi que les obligations indexées sur l’inflation ont tous dégagé des performances positives durant le 1er semestre 2020.

En outre, les entreprises qui ont le plus bénéficié du boom de la désinflation qui a précédé la période actuelle sont parvenues à se maintenir sur leur lancée. Cependant, cette poignée de gagnants fait oublier l’existence d’un lent processus de contraction sous-jacent. Durant cette phase de contraction, la mauvaise allocation des capitaux devrait se corriger. Reste la question de savoir combien de temps cette phase déflationniste durera.

Nous tablons sur deux années. Une forte sélectivité sera nécessaire pour distinguer les gagnants des perdants parmi les actifs risqués, sachant que les seconds seront les plus nombreux. Tous les instruments de politiques monétaires n’ayant pas encore été utilisés, le contrôle de la courbe des taux pourrait avoir pour conséquence de faire encore baisser les taux, ce qui permettra d’atténuer l’impact de la contraction que nous subissons actuellement.

Le krach inflationniste

La politique budgétaire permettra de passer à la phase suivante que Charles Gave décrit comme le "krach inflationniste". Elle pourrait se dérouler entre 2022 et 2023. Une situation similaire s’est produite au début des années 1970, lorsqu’Arthur Burns présidait la Fed. Dans de telles circonstances, le cash, pour autant qu’il soit détenu dans les devises les plus sûres, devient roi et il convient d’éviter les actifs financiers. Les obligations indexées sur l’inflation peuvent néanmoins représenter un deuxième choix. Et dans ce cas, c’est un choix qu’il convient d’envisager dès à présent.

Le risque actions doit se limiter aux entreprises qui bénéficient de modèles d’affaires solides et qui sont en mesure de prospérer malgré une inflation croissante.

Comme évoqué plus haut, l’estimation de la durée de cette phase est difficile, car elle dépend de l’audace des banques centrales vis-à-vis de l’inflation. Sauront-elles s’abstenir de resserrer les taux lorsque cette dernière franchira le seuil des 2,5 à 3,5%?

Le boom inflationniste

Durant cette période, la croissance reprendra de la vigueur et permettra à l’économie de dépasser son niveau de fin 2019. L’immobilier, les matières premières et l’or vont connaître une réévaluation et atteindre des niveaux plus élevés. Il conviendra alors d’éviter les titres d’emprunt à échéance longue. Par contre, les marchés actions pourraient sortir de leur longue phase de consolidation et offrir à nouveau des performances décentes.

En parcourant brièvement ces «quadrants» de l’investissement, l’idée était de prendre du recul après une période caractérisée par une pléthore d’informations telle qu’il était devenu difficile de se forger une opinion quant à l’avenir. La réalité sera vraisemblablement différente de ces prévisions, mais il importe de garder la tête froide. Les durées des différentes phases du scénario présenté ci-dessus pourraient être beaucoup plus longues ou beaucoup plus courtes que prévu. Mais aucun élément ne permet de le savoir aujourd’hui. Par conséquent, il convient de suivre attentivement les marchés pour se faire une idée de la vitesse à laquelle ils valorisent une évolution économique incertaine.

En fin de compte, le krach de la désinflation suivi du krach inflationniste ne devrait pas effrayer les investisseurs. Il s’agit plutôt de les inciter à allouer correctement leur épargne et à se diversifier pour préserver et accroître leur capital, même si cette croissance pourrait n’être que modeste à court et moyen terme.

À plus long terme, nous devrions assister au retour d’un cycle économique plus marqué, fondé sur des bases plus solides. Ce boom inflationniste permettra aux actifs risqués de connaître un nouvel essor.

Peter de Coensel Juin 2020
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