La performance des Hedge Funds est, en général, supposée moins volatile et moins corrélé au marché. Ceci se traduit par des bétas, c.-à-d. des corrélations avec les facteurs de risque globaux, plus faibles. En ce qui concerne ces facteurs de risque, il s’agit notamment des variations non anticipées du taux d’inflation, de la structure par terme des taux voire du taux de croissance.
La supposée non-corrélation aux marché est censée provenir du fait que les Hedge Funds peuvent vendre à découvert, c.-à-d. vendre un actif qu’ils ne détiennent pas pour le racheter plus tard lorsque le prix de l’actif en question aura perdu en valeur. La vente à découvert permet aux gestionnaires de mieux exploiter des supposées anomalies de marché, c.-à-d. des rendements excessifs au vu du risque auquel donne lieu la détention du type d’actif en question.
De ce fait, les Hedge Funds permettraient de mieux diversifier les risques et accroîtraient la rentabilité des portefeuilles. Cela dit, la performance des fonds est mesurée net des «fees». Or, les «fees» des gestionnaires de Hedge Funds sont structurés différemment de ceux des gestionnaires de Mutual Funds. La performance brute des deux véhicules d’investissement ne peut être comparée que si l’on arrive à isoler l’impact de la structure de rémunération. C’est justement ce qu’on fait Brooks et al. (2007)[1] dans une récente étude.
La plupart des fonds sont rémunérés en fonction des actifs sous gestion et on parle de «management fees». Dans le cas des fonds standards, ici dénommés Mutual Funds, ces «management fees» s’élèvent à environ 2% des actifs sous gestion. Les Hedge Funds, quant à eux, sont rémunérés, outre les «management fees», en fonction des «performance fees», c.-à-d. en fonction de la performance. La performance est mesurée par rapport à un référentiel dénommé «hurdle rate». Le «hurdle rate» peut être soit absolu, p.ex. 10%, soit relatif c.-à-d. un indice boursier plus un certain pourcentage. Les «performance fees» s’élèvent en général à 10 à 30% de la performance au-delà du «hurdle rate».
Par ailleurs, il y a en général une clause «high-water mark» qui interdit le paiement des «performance fees» aussi longtemps que la valeur du fonds est inférieure à la valeur maximale que le fonds avait atteint durant son historique. Notons que les «performance fees» sont censés inciter le gestionnaire à générer de la performance anormale via un effort et une prise de risque accrue.
L’existence de «performance fees» et de clauses «high-water mark» est susceptible de distordre la relation entre performance nette et performance brute. En effet, l’étude considérée montre à partir de simulations que les règles de rémunération ont un impact considérable sur les mesures de performance.
Pour les fonds qui ne sont rémunérés qu’à travers des «management fees», la distribution des rendements nets n’est rien d’autre que la distribution des rendements bruts décalés, la distribution restant la même. Si, par contre, le fonds est rémunéré via des «performance fees», la distribution des rendements nets est déformée et ceci en raison du lissage qu’implique l’existence de clauses «high-water mark».
Cette déformation implique que les mesures de performance ajustées au risque, elles aussi, vont varier. Pour les fonds standards, la différence entre performance brute et nette n’est constitué que des «management fees». Dans ce cas, les bétas sont les mêmes que l’on ait recours aux rendements bruts ou nets. Seul le niveau de l’alpha, c’est-à-dire la mesure de performance anormale est impactée.
Ceci n’est plus le cas lorsque l’investisseur paie des «performance fees» car la sensibilité du fonds «post-fees» varie en fonction des gains et des pertes du fonds. Ceci crée une distorsion entre le béta mesuré du fonds et le véritable beta. En fait, les «performance fees» peuvent être analysées comme une option d’achat dont le sous-jacent est la rentabilité brute du fonds. Lorsque le fonds surperforme le «hurdle rate» et sa valeur est supérieure au «high-water mark», le gestionnaire touche les «performance fees». Le gestionnaire détient en quelque sorte une option d’achat.
Ce constat permet d’analyser l’impact sur le béta, notamment en isolant le béta des «performance fees». A cet effet, il s’agit d’évaluer le delta, c’est-à-dire la sensibilité de l’option par rapport aux mouvements du sous-jacent. Le béta des «performance fees» peut alors être évalué en faisant le produit entre le delta, le pourcentage des «fees» et le beta brut du fonds.
L’évolution de ce béta est intéressante. Lorsque la valeur du fonds est bien supérieure au «high-water mark», les gains et les pertes n’ont aucun impact sur les «performance fees» et le delta avoisine 0. Par contre, lorsque la valeur du fonds est bien inférieure au «high-water mark», tous les gains et pertes impactent la performance et le delta est avoisine 1. L’investisseur fait donc face à deux situations. Lorsque le delta avoisine 0, le véritable béta est proche du béta mesuré. Lorsque le delta avoisine 1, le véritable béta diffère du béta mesuré en fonction du pourcentage de «performance fees». En fait, analyser l’impact la performance du fonds à partir des données nettes équivaut à lisser l’impact des «performance fees». Ce lissage influence l’alpha et le béta du fonds alors qu’il faudrait distinguer le véritable béta et l’option d’achat que constituent les «performance fees».
L’étude en question évalue l’impact sur les différentes familles de Hedge Funds. Etant donné, que les bases de données n’indiquent que les performances nettes, il faut reconstruire les données brutes en effectuant quelques hypothèses concernant le calcul des «fees». L’analyse des données brutes semble indiquer que les rendements des Hedge Funds ont des propriétés statistiques relativement standards. Ceci peut étonner, car les règles de rémunération des gestionnaires visent à inciter ces derniers à générer de la surperformance. A cet égard, il faut noter que la littérature est partagée sur l’impact des règles de rémunération sur la prise de risque. Etant donné, que les «performance fees» peuvent être analysés comme une option d’achat, on peut raisonnablement supposer que les gestionnaires vont optimiser la valeur de celle-ci. Or, la valeur d’une option dépend principalement de la volatilité du sous-jacent. Ce qui est intéressant dans le cas considéré, c’est que la volatilité est contrôlée par le gestionnaire. Cela veut dire que le gestionnaire détient une option dont il contrôle en partie la valeur!
La volatilité a un impact plus ou moins important en fonction de la valeur du fonds par rapport au «high-water mark». Lorsque la valeur du fonds est en dessous du «high-water mark», le gestionnaire est incité à prendre des risques pour accroître la volatilité du fonds car c’est le seul moyen pour rattraper le «high-water mark». Par contre, lorsque la valeur du fonds est supérieure au «high-water mark», le gestionnaire peut encaisser les «performances fees» sans générer trop de volatilité.
Brooks et al. (2007) ont testé l’impact en divisant les bases de données des Hedge Funds en trois catégories: ceux dont la valeur est proche du «high-water mark», ceux dont la valeur est supérieure et enfin ceux dont la valeur est inférieure. Les auteurs comparent alors la volatilité des fonds pour les trois catégories. La volatilité semble effectivement s’accroître lorsque la valeur du fonds est inférieure au «high-water mark». Ces résultats semblent indiquer que les règles de rémunération des gestionnaires des Hedge Funds ne les incitent pas à générer de la surperformance mais plutôt à prendre des risques inconsidérés lorsque la valeur de leur fonds est inférieure au «high-water mark». Les règles de rémunération ne semblent donc pas optimales.
Ceci n’étonne guère, car la littérature[2] concernant les problèmes de délégation de gestion de portefeuille n’a pas encore développé d’approche satisfaisante des règles de contrôle et de rémunération des gestionnaires. Ceci est d’ailleurs un sujet de recherche très actuel. Affaire à suivre.