Les marchés évoluent actuellement dans un environnement en complète mutation. Exacerbées par le contexte géopolitique, les tensions inflationnistes font craindre que le ralentissement actuel de la croissance ne se transforme en récession globale. Pourtant, les opportunités existent sur les marchés actions et obligataires ainsi que dans l’univers du Private Equity.
Ralentissement de la croissance. La donne a changé sur les marchés alors que le contexte économique se dégrade. La hausse de l’inflation pousse les grandes banques centrales à réviser en profondeur leur politique monétaire. En Chine, le maintien d’une politique zéro Covid contribue à prolonger les tensions sur les chaînes d’approvisionnement. Les sanctions prises contre la Russie amplifient la hausse des prix du pétrole, sans que la décision de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), début juin, de relever les quotas de production ne parvienne à rétablir les équilibres antérieurs. Or, si cette augmentation du prix du baril devait se poursuivre, elle devrait conduire à un ralentissement plus prononcé de la croissance au cours des prochains mois. Si les prévisions de croissance mondiale en 2022 restent très incertaines (estimé à 3,1% au niveau mondial, et en particulier entre 2% et 2,5% en zone euro et aux Etats-Unis et inférieure à 4% en Chine[1]), elles cachent néanmoins une quasi-stagnation des trimestres à venir, après un premier trimestre bénéficiant d’un effet de base qui a été très important par rapport au T1 2021.
Choc de confiance en vue. «La tendance des dernières semaines confirme l’hypothèse d’un choc significatif, déjà constaté depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine et qui est visible dans les statistiques relatives à la confiance des ménages au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en zone euro. Ce choc inflationniste est surtout supporté par les ménages. Cette baisse déjà visible du pouvoir d’achat conduit à une contraction des ventes de détail. Ceci contraste avec le moral des entreprises, dont les indicateurs d’activité (PMI composite[2]) restent encore en expansion (au-dessus de 50) malgré une décélération qui fait jour. Celle-ci pourrait s’amplifier en écho à la baisse inquiétante du sentiment de confiance des CEO américains revenu aux niveaux de mars 2020» prévient Vincent Manuel, Chief Investment Officer, Indosuez Wealth Management.
Inflation structurelle. Conjuguée à des perspectives de ralentissement économique, l’inflation ressort à des niveaux inédits, qui n’avaient plus été atteints depuis quarante ans (8,6% aux Etats-Unis en mai en glissement annuel, 8,1% en zone euro[3]) compliquant la donne pour des banques centrales et des gouvernements, qui ont perdu l’habitude d’évoluer dans un tel environnement de stagflation. En 2023, l’inflation devrait rester à des niveaux élevés (+4,6% aux Etats-Unis, +4,9% en zone euro[4]), s’installant dans le paysage économique et demeurant à des niveaux largement supérieurs aux objectifs des banques centrales. «Ce choc d’inflation revêt une composante cyclique importante, liée à des déséquilibres offre / demande, aux matières premières, aux tensions salariales actuelles, qui peuvent s’inverser en cas de ralentissement. Cependant, les facteurs de déflation structurelle observés au cours des dernières années (mondialisation des échanges, coûts modérés de l’énergie et des transports, digitalisation de l’économie, etc.) laissent une place grandissante aux facteurs inflationnistes comme l’aspiration à plus d’autonomie dans un certain nombre de secteurs stratégiques qui pourrait conduire à une régionalisation croissante de l’économie mondiale. On peut aussi citer un consensus social plus fort pour un rééquilibrage du poids des salaires dans le partage de la valeur ajoutée dans les pays matures, et en parallèle la hausse des coûts salariaux dans le monde émergent, notamment en Chine. Enfin, la transition climatique requiert des investissements considérables et devrait à ce titre alimenter durablement les pressions inflationnistes» analyse Vincent Manuel.
Normalisation des politiques monétaires. Après la hausse de 75 points de base annoncée mercredi 15 juin, la Réserve Fédérale (Fed) devrait avoir remonté ses taux directeurs au-delà de 3% d’ici la fin de l’année alors que la Banque centrale européenne (BCE) s’orientera vers une sortie des taux négatifs avec une première hausse programmée début juillet. Pour autant, les taux réels restent en territoire encore négatif étant donné le niveau de l’inflation. A ce titre, il est difficile de parler de resserrement monétaire. Le terme «normalisation» convient davantage. La réduction du bilan de la Fed contribue toutefois à la remontée des taux longs (le 10 ans américain atteint 3,5%). La question est désormais de savoir jusqu’à quel point les banques centrales mèneront leurs programmes de hausse des taux tandis que le risque de récession grandit. «Les craintes de récession et le niveau d’endettement des économies occidentales finira probablement par limiter la capacité des banques centrales à poursuivre la remontée les taux d’intérêt au-delà du début d’année 2023» note Vincent Manuel.
Des marchés actions en phase d’ajustement. L’ajustement actuel des marchés prend en compte cette hausse des taux qui affecte comme prévu les valorisations alors que les entreprises n’ont pas encore révisé à la baisse leurs prévisions de résultat, après des publications trimestrielles très satisfaisantes. On estime qu’une hausse de 100 points de base du taux 10 ans américain correspond historiquement à une baisse de 3,5 points du ratio cours/bénéfices de l’indice S&P 500[5]. «La normalisation monétaire en cours conduit les investisseurs à accélérer leur désendettement. Ceci contribue à amplifier la baisse du prix des actifs» explique Vincent Manuel. Toutefois, le momentum est propice aux titres Value, aux valeurs de rendement et aux défensives. Au niveau sectoriel, les matières premières, les banques, l’énergie ainsi que la santé, les télécommunications, les services aux collectivités permettent de construire des portefeuilles générant du rendement. Enfin, les valeurs offrant des cash-flows élevés et du pricing power restent à privilégier.
Priorité au rendement sur les marchés obligataires. A la faveur du ralentissement économique en cours, les taux de défaut pourraient remonter au cours des prochains mois. Mais dans un contexte favorable aux valeurs de rendement, il est préférable de privilégier les obligations d’entreprises. «Le rendement moyen des obligations d’entreprises est de l’ordre de 3% en zone euro et de 4,5% aux Etats-Unis alors qu’il peut atteindre 6% pour les obligations à haut rendement de la zone euro et 8% aux Etats-Unis[6]» constate Vincent Manuel.
Les actifs non cotés continuent d’attirer les investisseurs. Dans cet environnement difficile pour les marchés financiers, le marché des actifs non cotés conserve tout son attrait au sortir d’une année record en 2021. Les taux de croissance et de rentabilité sont restés à des niveaux très élevés. Plus de 1 000 Mds$ ont été investis l’an dernier sur les marchés du Private Equity et de la dette privée, renforçant la confiance des investisseurs sur ces classes d’actifs. Ces marchés ne se limitent plus à financer des entreprises technologiques ou évoluant dans l’univers de la santé mais s’étendent aux secteurs plus traditionnels (industrie, consommation, etc.). «Depuis le début de l’année, les multiples de valorisation ont peu évolué. L’enjeu à plus long terme réside dans la capacité des entreprises à préserver leur croissance et leurs marges dans un contexte de ralentissement. Or, les sociétés capables d’offrir du «pricing power» et d’imposer des barrières à l’entrée devraient faire la différence» estime Gilles de Foucault, Directeur des Investissements Private Equity, Indosuez Gestion. D’autant que la baisse du nombre d’entreprises s’introduisant en Bourse va de pair avec l’augmentation du nombre d’opérations de Private Equity, mettant en lumière un phénomène a priori durable. «Les opportunités sont là. Le ralentissement de l’économie devrait inciter certains grands groupes à se recentrer sur leurs activités les plus rentables, leur cœur de métier. En outre, de nombreux chefs d’entreprises pourraient accélérer les processus de transmission en faisant appel à des managers ou à des partenaires extérieurs (LBO primaires). Le contexte se prête également à l’intervention des investisseurs en quête de liquidités sur le marché secondaire. Pour les investissements en infrastructures ou en immobilier, le financement de la transition énergétique constitue un thème d’investissement attractif et pérenne» conclut Gilles de Foucault.