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Comment expliquer l'échec de WeWork ?

Les Gérants de portefeuille de Janus Henderson, Richard Clode et Guy Barnard abordent le récent dépôt de bilan de WeWork dans la perspective de la technologie et de l’immobilier, en soulignant l’importance d’une gestion active.

L’été 2019 semble faire partie d’un lointain passé. À l’époque, les pandémies mondiales et les grandes guerres terrestres étaient l’apanage des jeux vidéo tandis que les conditions financières étaient encore définies par l’assouplissement quantitatif (QE) et les taux d’intérêt étaient proches de zéro. Des conditions financières extrêmement souples ont été à l’origine de la création en 2017 du fonds Softbank Vision Fund (SVF), le plus grand investisseur technologique de tous les temps avec un capital de plus de 100 milliards de dollars américains. La quantité exponentielle de capital disponible destiné aux nouveaux modèles économiques disruptifs a entraîné une distorsion importante dans le paysage des start-ups non cotées. Les fondateurs ont été encouragés à voir plus grand, le SVF étant dix fois plus important que les autres grands fonds de capital-risque, avec des montant de financement d’un multiple similaire.

Un financement plus que suffisant a permis de «voir grand»

Les modèles économiques à intensité capitalistique élevée étaient idéalement adaptés pour absorber ces importantes injections de capitaux. Aucune autre entreprise n’a vu plus grand que WeWork, qui a cherché à bouleverser le marché de l’immobilier qui représente plus de mille milliards de dollars américains. Se présentant comme une entreprise technologique, WeWork louait des bureaux et prétendait numériser l’immobilier par le biais d’une plateforme mondiale en vendant des abonnements et d’autres services.

Softbank a finalement investi plus de 10 milliards de dollars dans WeWork, dont un tour de table de 2 milliards de dollars en janvier 2019 qui a valorisé l’entreprise à 47 milliards de dollars, suivi d’une introduction en bourse très attendue la même année où certaines estimations ont valorisé l’entreprise à un niveau élevé de 100 milliards de dollars. Toutefois, les marchés d’actions ont été moins convaincus, et l’entreprise a fini par être cotée sur les marchés publics par l’intermédiaire d’une «société d’acquisition à vocation spéciale» (SPAC) en octobre 2021, à une valeur beaucoup plus modérée de 9 milliards de dollars américains. Or deux ans plus tard, WeWork a été contraint de déposer le bilan.

Une start-up technologique dans le secteur immobilier?

Nous avions déjà rencontré le cofondateur et désormais ancien PDG de WeWork Adam Neumann durant l’été 2019 dans le cadre de la préparation de l’entreprise à son entrée en bourse imminente. Ces deux heures d’entretien se sont avérées être les plus divertissantes de notre carrière. La réunion s’est concentrée sur le caractère disruptif de WeWork, sur son énorme potentiel de croissance et sur ses tentatives de nous convaincre qu’il s’agissait réellement d’une entreprise technologique et qu’elle méritait donc une valorisation comparable à celle d’autres start-ups technologiques disruptives, plutôt qu’une entreprise aux multiples inférieurs comme celles que l’on trouve dans le secteur immobilier coté en bourse. Cet entretien nous a donné l’occasion de tirer parti de notre expertise spécialisée et de notre vaste expérience dans les secteurs de la technologie et de l’immobilier et de réunir ces connaissances pour évaluer concrètement les aspirations et les revendications de WeWork.

Le point de vue du spécialiste des technologies (Richard):

Nous appliquons nos propres critères pour parvenir à la définition d’une entreprise technologique, plutôt que d’accepter la manière dont une entreprise se définit elle-même. Nous utilisons un cadre cohérent à l’aide duquel nous cherchons des technologies propres à entreprise qui sont essentielles à sa franchise et à son «droit de gagner de l’argent». Bien que WeWork nous ait présenté de nombreux outils technologiques, nous avons constaté qu’aucun d’entre eux n’avait véritablement été développé par ce groupe. Le modèle économique/le droit de gagner de l’argent reposait sur la location d’espaces de bureaux à long terme et sur leur location à court terme à des taux plus élevés. Après avoir traversé plusieurs cycles d’engouement à l’égard des technologies, nous avons rencontré un fondateur très charismatique avec une grande idée, mais qui dépendait en fin de compte d’un financement externe important plutôt que d’un cercle vertueux où les profits d’aujourd’hui financent l’innovation et la croissance de demain.

À travers de multiples cycles économiques et des taux d’intérêt, y compris la crise financière mondiale et l’éclatement de la bulle Internet en 2000, nous avons vu à quelle vitesse le financement externe pouvait se tarir. À propos de l’imprévisibilité des marchés, l’économiste John Maynard Keynes a déclaré: «Les marchés peuvent rester irrationnels plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable». L’octroi de milliards de dollars de financement par mois n’était pas viable et a donné raison à M.Keynes. La technologie est un secteur véritablement dynamique. Les sociétés disruptives d’aujourd’hui peuvent être les sociétés en difficulté de demain. Le travail hybride est la nouvelle forme de travail en équipe ce qui a entraîné la disparition définitive de WeWork. Les valorisations extraordinairement élevées fondées sur des projections de bénéfices et de flux de trésorerie pour les années à venir comportent des risques et doivent être actualisées en conséquence.

Le point de vue du spécialiste de l’immobilier (Guy):

Le secteur de l’immobilier a tendance à évoluer progressivement et à connaître une croissance graduelle prévisible. Le temps que nous avons passé avec un Adam Neumann plein d’énergie était manifestement très différent, puisqu’il visait la disruption de l’une des activités les plus fragmentées au monde. Sa proposition était relativement simple: utiliser les baux à long terme de propriétaires de bureaux et diviser cet espace en unités plus petites louées à court terme à des particuliers et à des entreprises. Ces locataires paieraient un supplément pour bénéficier d’une plus grande flexibilité et pour faire partie de la communauté mondiale «We», avec des avantages tels que du café, de la bière et des DJ gratuits et un espace contemporain dépouillé. Le défi, comme toujours, vient d’une inadéquation entre les actifs/revenus et les passifs, qui a été exacerbée par l’accélération de la tendance au travail à domicile après la pandémie. WeWork a perdu la plupart de ses revenus car les clients sont restés chez eux, mais ont été obligés de payer un loyer au titre de leurs baux. L’ère de l’argent gratuit et la croissance et les investissements effrénés n’ont finalement jamais permis à l’entreprise de générer des bénéfices, Neumann décrivant à l’époque la rentabilité et le flux de trésorerie disponible comme un «objectif de gestion» («managed outcome») qui n’a finalement jamais été atteint.

Malgré les lacunes du modèle économique de WeWork, la vision était en fait une vision qui trouvait un écho parmi nous.Le secteur des bureaux évolue rapidement: les baux sont de plus en plus courts et les propriétaires doivent devenir des exploitants plutôt que de simples collecteurs de loyers. C’est une chose à laquelle de nombreux propriétaires de bureaux dans lesquels nous investissons se sont habitués, avec leurs propres propositions et marques «flexibles», mais sans la même inadéquation entre l’actif et le passif puisqu’ils sont propriétaires des bâtiments. Les exigences environnementales et l’impact du travail à domicile sont également des facteurs de changement qui sont sources de défis mais également d’opportunités pour le secteur immobilier. C’est la raison pour laquelle une approche très sélective des investissements dans le secteur des bureaux est aujourd’hui nécessaire. Comme je l’ai écrit en 2018, «quelle que soit la situation de WeWork dans cinq ans, le secteur des bureaux sera très différent.»

Une gestion active est nécessaire pour traverser avec succès une période de changement et évaluer les fondamentaux

Avec la disparition de WeWork, nous pensons qu’il vaut la peine de réfléchir aux leçons à en tirer et aux avantages que l’expérience en matière d’investissement peut apporter. Étant donné la durée de l’assouplissement quantitatif et du régime de taux d’intérêt égaux à zéro après la crise financière mondiale, nous avons vécu dans un monde d’«argent gratuit» et de liquidités abondantes jusqu’à ces deux dernières années. Des taux plus élevés signifient désormais que le coût du capital est supérieur et que les entreprises doivent mettre davantage l’accent sur des décisions efficaces en matière d’allocation de leur capital.

Tout investisseur se doit d’être capable d’évaluer de manière dynamique une nouvelle activité, de tester les modèles économiques et les prévisions et de valoriser les investissements de manière appropriée en fonction d’une variété de contextes de marché et d’environnements macroéconomiques. S’il est important de décider quand investir, il est tout aussi important de savoir quand ne pas le faire.

Guy Barnard , Richard Clode Novembre 2023
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