La semaine du 13 juin sera peut-être considérée, dans l’histoire des marchés, comme un tournant majeur dans le cycle actuel. La raison n’est pas le chiffre d’inflation plus élevé que prévu publié le 10 juin et qui est venu doucher les espoirs d’un pic de l’inflation. Elle est plutôt dans l’acceptation explicite de la Réserve fédérale à assumer les effets collatéraux d’un resserrement monétaire inédit dans l’histoire moderne.
Le problème n’est plus le pic d’inflation, mais le risque de voir les anticipations des ménages se modifier substantiellement.
Outre les chiffres d’inflation décevants, les différentes études relatives au moral des ménages américains ont dressé un constat inquiétant (moral au plus bas depuis les années 80), avec surtout des anticipations d’inflation à long terme, en mutation. En clair, les ménages américains sont en train de se résigner à une inflation durable (anticipations à 5 ans). Et c’est bien cette raison qui a poussé la Fed à renforcer son discours restrictif en indiquant désormais être prête à accepter les effets collatéraux de son resserrement monétaire, quitte à prendre le risque d’un freinage abrupt de l’économie.
Contrairement à l’idée répandue d’un soutien éternel, J. Powell a rappelé que le rôle de la Réserve fédérale américaine était surtout la stabilité des prix, considérant cet objectif prioritaire sur l’emploi dont il est désormais explicitement accepté une dégradation à venir.
Un risque de récession accru.
Dès lors, les marchés ont adapté leurs anticipations, prévoyant un resserrement désormais significatif avec des Fed Funds attendus à 3,5% fin 2022.
Mais la conséquence de ces nouvelles anticipations est d’avoir accentué le risque de récession en 2023 qui s’impose progressivement comme un scénario consensuel. D’après un récent sondage du Financial Times, 70% des économistes interrogés anticipent un passage en récession de l’économie américaine en 2023, et d’après la récente étude BofA Merryl Lynch de la communauté financière, l’optimisme des gérants sur la croissance est au plus bas.
Les courbes de taux, indicateurs précurseurs des récessions à venir, sont en passe de s’inverser, et la plupart des données macroéconomiques plaident pour un freinage plus important qu’anticipé il y a quelques mois. Les marchés ne s’y trompent pas et le stress sur l’ensemble des classes d’actifs reste sur des niveaux problématiques.
Le bottom up encore serein.
Rare zone de calme actuellement, les entreprises semblent fournir un portrait moins sombre des perspectives de profits.
Les feedbacks des managements continuent de décrire des carnets de commandes solides et des résultats en progression. Convaincus, les analystes anticipent une croissance néanmoins assez modérée des profits pour 2023, avec +5% pour les sociétés européennes (indice Stoxx 600) et +9% pour les groupes américains (S&P 500).
Jusqu’à présent, les entreprises sont parvenues à préserver les marges en transmettant les pressions inflationnistes à leurs clients. Mais après avoir atteint un pic historique, les marges bénéficiaires indiquent les premiers signes de dégradation et risquent de pousser les analystes à revoir leurs anticipations à la baisse au cours des prochains trimestres. Le pricing power ne va pas indéfiniment être aussi facile pour toutes les entreprises…
Que valorisent les marchés aujourd’hui? Depuis le début de l’année, on constate, malgré une nette baisse des cours boursiers, une étonnante stabilité de la prime de risque des actions.
Ce phénomène tend à penser que les marchés ont essentiellement pris en compte la hausse des taux longs, et que cette prime de risque, mesurant le risque intrinsèque de la détention d’actions n’a pas de raison de monter. Or, les anticipations de révisions en baisse de la croissance devraient impliquer une remontée de cette prime de risque, comme cela se produit habituellement.
Du coté du crédit, le constat est plus prudent puisque, certes l’essentiel de la performance est liée à la remontée des taux également, mais on assiste à un écartement des spreads de crédit, signe d’un marché progressivement plus inquiet du risque de défaut.
Compte tenu des niveaux de primes de risque, de taux d’intérêt et de P/E actuels, les actions américaines anticipent déjà un scénario de passage bref en récession, avec une croissance fondamentale proche de 0%.
Quel potentiel pour les actions?
Si le risque de remontée de la prime de risque laisse planer la menace d’une baisse encore significative des actions, il faut conserver à l’esprit que le basculement des anticipations vers une récession implique également une modération de l’inflation et donc une correction des taux longs qui servirait de coussin. Par ailleurs, cette correction des taux longs permettrait de sortir de la logique toxique pour les portefeuilles diversifiés par l’affaissement simultané des actions et des obligations.
Ceci étant posé, la répétition des scénarios de récession des dernières années au travers de la prime de risque et des taux longs fait aisément apparaître un potentiel de baisse encore significatif par rapport aux niveaux actuels.
Néanmoins, ce scénario médian ne semble pas encore le plus probable car rien n’indique la répétition des crises intenses traversées ces dernières décennies et qui ont souvent intégrer un risque systémique important (pandémie, credit crunch, éclatement de bulle…).
En revanche, un scénario de récession «normale» ou «modérée» comme en 1990 indique que les marchés sont déjà en ligne sur les niveaux de valorisation actuels, avec un potentiel de baisse finalement limité. Cet exercice confirme la vue plus prudente déjà valorisée sur la zone Euro compte tenu de la proximité du conflit en Ukraine et de ses répercussions plus intenses.