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Cap sur mars 2026

Anxiété est un mot bien faible pour décrire la panique qui s’est emparée des marchés obligataires internationaux la semaine dernière. L’élément déclencheur a apparemment été le mauvais résultat des adjudications des bons du Trésor américain à 7 ans: les investisseurs se sont vus octroyer un taux de 1,195% alors que l’UST 7 ans se négociait à 1,15%...

Au-delà des prochaines hausses de taux et du QE, les courbes de taux livrent des messages cruciaux.

Anxiété est un mot bien faible pour décrire la panique qui s’est emparée des marchés obligataires internationaux la semaine dernière. L’élément déclencheur a apparemment été le mauvais résultat des adjudications des bons du Trésor américain à 7 ans: les investisseurs se sont vus octroyer un taux de 1,195% alors que l’UST 7 ans se négociait à 1,15% juste avant la clôture du processus d’enchères. L’écart d’adjudication a donc été de 4 points de base, ce qui est peu réjouissant. Cependant, comme me l’a montré mon expérience de teneur de marché, j’ai pu constater que les adjudications connaissent des vagues. Celle de la semaine dernière a été brutale, mais elle sera suivie d’autres qui seront progressivement meilleures.

En fin de semaine, la panique concernant les taux s’est transformée en une véritable ruée. Le taux des emprunts à 10 ans s’est retourné, clôturant à 1,40% alors qu’il avait atteint 1,60% la veille et tenté de trouver un point d’équilibre aux alentours de 1,50%. A croire que les investisseurs obligataires ont pris conscience de la valeur de leurs titres vendredi dernier en fin de journée. Ce phénomène a été particulièrement marqué sur la partie longue de la courbe où le 30 ans a été particulièrement recherché. De fait, durant cette semaine, l’écart entre le 10 et le 30 ans s’est réduit de 5 points de base, entraînant un aplatissement de cette partie de la courbe. Comment expliquer ces mouvements?

Pour les comprendre, projetons-nous au-delà du moment où la FED commencera à augmenter les taux et à modifier son programme d’achat d’actifs. Il n’est pas question ici de la mi-2023, date à laquelle les anticipations des marchés fixent une première hausse des taux aux alentours de 0,25%-0,50%. Il ne s’agit pas non plus de se projeter fin 2021 ou début 2022 lorsque la plupart des stratèges «sell side» annonceront une réduction du programme d’achat d’actifs de la Fed qui porte actuellement sur 120 milliards de dollars par mois. Réfléchissons plutôt à comment le marché obligataire voit la courbe des taux en 2026.

Si l’on examine la courbe des taux américains avec coupons afin d’inclure les primes de risques de terme et d’inflation, elle se présente actuellement comme suit pour les taux à: 1 an 0,07%, 2 ans 0,13%, 5 ans 0,73%, 10 ans 1,40%, 30 ans 2,15%. Puis regardons comment cette courbe forward 5 ans évolue pour les taux à: 1 mois 2,07%, 1 an 2,15%, 2 ans 2,15%, 5 ans 2,12%, 10 ans 2,42% et 30 ans 2,48%.

Trois conclusions s’imposent.

La première et la plus importante est que le marché obligataire table sur un durcissement de la politique monétaire de la Fed qui devrait compter 7 à 8 hausses de taux. Ainsi l’argument selon lequel la banque centrale serait «mariée» au taux zéro est erroné. La Fed devrait commencer à augmenter les taux d’environ 1% par an aux alentours de 2023-2024. Admettons qu’elle les amène à 1,75%, voire 2%, cela signifie que ces taux se situeraient à environ 50 points de base au-dessous de ses prévisions actuelles de 2,50% pour le taux directeur à long terme. Tous ces éléments donnent à réfléchir. Et le fait que la pandémie ait modifié les termes des équations emploi et mondialisation pourrait aboutir à une compression du taux neutre (un thème d’ordre structurel que nous traiterons dans un prochain article).

En second lieu, la portion de courbe allant jusqu’à 5 ans est relativement plate. A l’horizon deux ans, le taux se situe à 2,15% ce qui, pour l’optimiste, représente une alternative plutôt intéressante au placement sans risque. Cela ne sera pas le cas pour le pessimiste qui en déduira le taux d’inflation de 2026. Si l’on observe les prévisions d’inflation attendues à cinq ans telles que reflétées dans les obligations indexées sur l’inflation (TIPS), cela signifie que l’indice des prix à la consommation américain pourrait connaître une progression de 2,40% ces cinq prochaines années. Autrement dit, le taux réel sera négatif (-0.25%). La courbe des taux présente une autre particularité. Comme le lecteur attentif aura pu le remarquer, elle s’inverse à l’échéance cinq ans et retombe à 2,12%. Cela signifie que pour l’ensemble des intervenants sur le marché, le relèvement des taux aux alentours de 2% pourrait déjà potentiellement entraver la croissance, nuire à l’emploi ou réduire à néant l’inflation.

La 3e leçon à tirer de nos observations précédentes est que les taux à 10 et 30 ans tendent à converger. Les premiers se situant à 2,42% et les seconds à 2,48%, leur différentiel de rendement chute et tombe à 6 points de base (pb) alors qu’il était encore de 75 pb à la clôture de vendredi dernier. Se pourrait-il alors que ce différentiel ait atteint un pic lorsqu’il s’est établi à 87pb la semaine dernière? Il convient en effet de se souvenir que durant les 44 dernières années, cet indicateur n’est passé au-dessus de 100 pb qu’à trois occasions, et ce très brièvement. Il pourrait donc être très rentable d’investir aujourd’hui dans des bons du Trésor américain à 30 ans ou dans les emprunts d’entreprises de qualité de même échéance.

Quid de l’Europe?

Pour juger de la situation des marchés obligataires européens, nous avons choisi la courbe des taux allemande, car elle est et demeura la référence des emprunts sans risque ces prochaines années (du moins jusqu’à ce que l’on arrive à une véritable coordination des politiques budgétaires en Europe).

Cette courbe se présente actuellement comme suit avec des taux à: 3 mois: -0,623%, 1 an: -0,624%, 2 ans: 0,668%, 5 ans: -0,57%, 10 ans: -0,26% et 30 ans: 0,19%. La courbe forward 5 ans évolue comme suit avec des taux à: 3 mois -0,33%, 1 an -0,31%, 2 ans -0,21%, 5 ans 0,06%, 10 ans 0,22% et 30 ans 0,38%.

Cette comparaison permet de dégager trois messages clés intéressants. Le premier est que le marché table sur le fait que la BCE agira très lentement et n’entrera que tardivement dans le cycle de resserrement des taux. Si ses hausses s’élèvent à 10 pb, elles devraient être au nombre de deux d’ici 2026.

Autrement dit, cela correspondrait à un statu quo des taux ces cinq prochaines années. Le deuxième message est que la courbe des taux s’aplatit, tout comme son homologue d’outre-Atlantique. Cependant, cette évolution est moins marquée qu’aux Etats-Unis et cela s’explique par sa spécificité et son statut qui est celui d’un marché refuge par excellence. Les investisseurs considèrent en effet que la courbe des taux allemande représente une assurance et, accepter des rendements négatifs, c’est précisément payer pour cette assurance.

En troisième lieu, si l’on examine les taux allemands à 10 et 30 ans, cela nous amène à penser à la situation de taux au Japon. Si l’on garde à l’esprit que les taux directeurs sont bloqués autour de –0,10%, avec un 10 ans japonais à 0,15% et un 30 ans à 0,75%, cela correspond assez bien à la situation sur le marché européen avec des taux directeurs établis aux alentours de -0,30% par la BCE et des taux allemands à 0,22% pour le 10 ans et 0,38% pour le 30 ans en 2026.

Cet exercice d’analyse des taux à partir de 2026 pour les courbes de rendement américaine et allemande est une invite à la réflexion pour les investisseurs, une pause dont ils devraient profiter pour améliorer leur processus de décision dans un environnement où le «sentiment» tend à primer sur toute autre considération. L’avenir sera certes difficile pour les investisseurs obligataires, mais pas au point où la sortie ou l’abandon de cette classe d’actifs les mettraient dans une situation plus confortable. C’est le contraire qui est vrai.

Peter de Coensel Mars 2021
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